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rieure à son âge, se mettra-t-elle dans le cas d’employer une si foible ressource ? Au reste, Nancy, je suis bien aise qu’elle n’ignore pas ce que je pense. Je vous charge même de lui représenter que, quelque aversion qu’elle ait pour l’un, et quelque goût qu’elle puisse avoir pour l’autre, on attend d’une jeune fille, dont la générosité et la grandeur d’ame sont si connues, qu’elle se fasse violence, lorsqu’elle n’a point d’autre voie pour obliger toute sa famille. Il est question de dix ou douze personnes, qui sont ce qu’elle a de plus proche et de plus cher au monde, à la tête desquelles il faut qu’elle compte un père et une mère dont elle n’a jamais éprouvé que de l’indulgence. De son côté, ce n’est peut-être qu’un caprice d’ âge ou d’humeur ; mais des parens voient plus loin, et le caprice d’une fille ne doit-il pas être soumis au jugement de ses parens ? Comptez, ma chère amie, que je ne suis pas demeurée en arrière sur l’article de ce jugement . J’ai dit tout ce que vous m’auriez pu dicter vous-même, et tout ce qui convient à une situation aussi extraordinaire que la vôtre. Ma mère en a si bien senti la force, qu’en m’ordonnant de vous communiquer ses idées, elle m’a défendu d’y joindre mes réponses ; de peur, m’a-t-elle dit, que, dans un cas si critique, elles ne vous engageassent à prendre quelques mesures dont nous pourrions nous repentir toutes deux ; moi, pour vous les avoir inspirées, et vous, pour les avoir suivies. Voilà, ma chère, ce que je vous représente d’autant plus volontiers de la part de ma mère, que de moi-même, je ne me trouve point capable de vous donner un bon conseil. Vous connaissez votre propre cœur ; c’est-là, qu’il faut chercher des lumières et des règles. Robert me promet de porter cette lettre de très-bonne heure, afin que vous la puissiez trouver au dépôt, dans votre promenade du matin. Que le ciel vous éclaire ! Qu’il vous guide ! C’est la prière continuelle de votre tendre et fidèle amie, Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche après midi. Je suis dans les plus terribles craintes : cependant je commencerai par de vifs remerciemens, à votre mère et à vous, pour votre dernière faveur. Je me flatte d’avoir répondu à ses obligeantes intentions dans ma lettre précédente : mais ce n’est point assez de lui en avoir marqué ma reconnaissance par quelques lignes écrites sur mon enveloppe avec un crayon. Permettez qu’elle trouve ici les expressions d’un cœur qui sent le prix de ses moindres bienfaits. Avant que de passer à ce qui me touche immédiatement, il faut que je vous gronde encore une fois de la manière un peu dure dont vous faites le procès à toute ma famille sur la religion et la morale. En vérité, ma chère, vous m’étonnez. Après ce que je vous ai recommandé si souvent, sans aucun fruit, je fermerais les yeux sur une occasion moins grave. Mais dans l’affliction même où je suis, je croirais mon devoir blessé, si je laissais passer une réflexion dont il n’est pas besoin que je répète les termes.