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me servira d’excuse. Je m’avançais effectivement vers l’escalier ; mais, se mettant entre la porte et moi, elle s’est hâtée de la fermer. Hardie créature, a-t-elle repris, laissez-moi du moins le temps de les prévenir sur votre visite. Je vous le dis pour votre propre intérêt ; mon frère est avec eux. Et voyant que je me retirais, elle n’a pas manqué de rouvrir la porte : allez donc, allez miss ; qui vous empêche d’aller ? Elle m’a suivie jusqu’à mon cabinet, en répétant vingt fois les mêmes instances ; et je n’y suis entrée que pour en fermer la porte après moi, dans la nécessité où j’étais de me soulager par mes larmes. Je n’ai pas voulu répondre à tous les discours qu’elle a continués, ni tourner même la tête vers elle, tandis qu’elle me regardait au travers de la vitre. Mais, lasse enfin de ses insultes, j’ai tiré le rideau pour me dérober à sa vue ; ce qui doit l’avoir irritée, puisque je l’ai entendue partir en grondant. Cette barbarie n’est-elle pas capable de précipiter dans quelque témérité un esprit qui n’a jamais eu la pensée d’en commettre ? Comme il y a beaucoup d’apparence que je serai enlevée pour la maison de mon oncle, sans avoir eu le temps de vous en donner d’autre avis, n’oubliez pas, ma chère, aussi-tôt que vous serez informée de cette violence, d’envoyer prendre au dépôt les lettres que je pourrais y avoir laissées pour vous, ou celles qu’on y aurait apportées de votre part, et qui pourraient y être restées. Soyez plus heureuse que moi ; c’est le vœu de votre fidèle amie. Clarisse Harlove. J’ai reçu vos quatre lettres ; mais dans l’agitation où je suis, il m’est impossible d’y répondre à présent.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi au soir, 24 de mars. Il m’est venu de ma sœur, une lettre très-piquante. Je m’étais bien attendue qu’elle se ressentirait du mépris qu’elle s’est attiré dans ma chambre. En vain mon esprit s’épuise en réflexions, il n’y a que la rage d’une jalousie d’amour qui puisse servir d’explication à sa conduite.

à Miss Clarisse Harlove.

j’ai à vous dire que votre mère a demandé qu’on vous fît grâce encore pour demain ; mais que vous n’en êtes pas moins perdue dans son esprit, comme dans celui de toute la famille. Dans vos propositions, et dans la lettre à votre frère, vous vous êtes montrée si sotte et si sage, si jeune et si vieille, si docile et si obstinée, si douce et si violente, qu’on n’a jamais vu d’exemple d’un caractère si mêlé. Nous savons tous de qui vous avez emprunté ce nouvel esprit. Cependant la semence en doit être dans votre naturel ; sans quoi, il serait impossible que vous eussiez acquis tout d’un coup cette facilité à prendre toutes sortes de formes. Ce serait jouer un fort mauvais tour à M Solmes, que de lui souhaiter une femme si dédaigneuse et si facile  ; deux autres de vos qualités contradictoires, dont je vous laisse l’explication à vous-même. Ne comptez pas, miss, que votre mère veuille vous souffrir ici long-temps.