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supposition, pour l’intérêt de ma tranquillité future. Mais je ne puis douter qu’ils ne me haïssent au fond du cœur. Assurément, lui disait ma sœur, vous l’avez réduite au silence. Il n’était pas besoin de lui défendre de vous écrire. Je parierais qu’avec tout son esprit, elle n’entreprendra pas de répliquer. à la vérité, lui a répondu mon frère, (avec un air de vanité scolastique dont il est rempli, car il se regarde comme l’homme du monde qui écrit le mieux) je crois lui avoir donné le coup de grâce. Qu’en dites-vous, M Solmes ? Votre lettre me paraît sans réplique, lui a dit Solmes ; mais ne servira-t-elle pas à l’aigrir encore plus contre moi ? Soyez sans crainte, a répondu mon frère, et comptez que nous l’emporterons, si vous ne vous lassez pas le premier. Nous sommes trop avancés pour jeter les yeux en arrière. M Morden doit arriver bientôt. Il faut finir avant son retour, sans quoi elle sortirait de notre dépendance. Comprenez-vous, chère Miss Howe, la raison qui les porte à se presser. M Solmes a déclaré qu’il ne manquerait point de constance, aussi long-temps que mon frère soutiendrait son espoir, et que mon père demeurerait ferme. Ma sœur a dit à mon frère qu’il m’avait battue admirablement, sur le motif qui m’obligeait de converser avec M Solmes ; mais que les fautes d’une fille perverse ne devaient pas lui faire étendre ses railleries sur tout le sexe. Je suppose que mon frère a fait quelque réponse vive et pleine de sel, car lui et M Solmes en ont beaucoup ri, et Bella, qui en rioit aussi, l’a traité d’impertinent ; mais je n’ai pu rien entendre de plus, parce qu’ils se sont éloignés. Si vous croyez, ma chère, que leurs discours ne m’ont pas fort échauffé l’esprit, vous vous trouverez trompée en lisant la lettre suivante, que j’ai écrite à mon frère, tandis que ma bile était allumée. Ne me reprochez plus, je vous prie, trop de patience et de douceur. à M Harlove, le fils.

vendredi matin. Si je gardais le silence, monsieur, sur votre dernière lettre, vous en pourriez conclure que je consens à me rendre chez mon oncle, aux conditions que vous m’avez prescrites. Mon père disposera de moi comme il lui plaît. Il peut me chasser de sa maison, s’il le juge à propos, ou vous charger de cette commission. Mais, quoique je le dise à regret, il me paraîtrait fort dur d’être menée malgré moi dans la maison d’autrui, lorsque j’en ai moi-même une où je puis me retirer. Vos persécutions, et celles de ma sœur, ne me feront pas naître la pensée de me remettre en possession de mes droits, sans la permission de mon père. Mais si je ne dois pas faire un plus long séjour ici, pourquoi ne me serait-il pas permis d’aller dans ma terre ? Je m’engagerai volontiers, si cette faveur m’est accordée, à ne recevoir aucune visite qu’on puisse désapprouver. Je dis cette faveur , et je suis prête à la recevoir à ce titre, quoique le testament de mon grand-père m’en ait fait un droit.