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lettre) a voulu absolument qu’elle fût lue jusqu’au bout, et s’est écriée d’abord, en se tordant les mains, que sa Clary, sa chère fille, ne devait pas être forcée. Mais lorsqu’on lui a demandé si elle souhaitait pour son gendre un homme qui brave toute la famille, et qui a versé le sang de son fils, et ce qu’elle avait obtenu de sa fille bien aimée, qui fût capable de lui inspirer ce mouvement de tendresse, sur-tout après avoir été trompée par les apparences d’une fausse liberté de cœur, elle n’a fait que jeter aussi les yeux autour d’elle. Alors loin de prendre parti pour une rebelle, elle s’est confirmée dans la résolution de faire valoir son autorité. On s’imaginerait, mon enfant, que vous avez une fort haute idée des devoirs du mariage ; et j’engagerais ma vie, néanmoins, que, semblable à toutes les autres femmes, dont j’excepte une ou deux que j’ai l’honneur de connaître, vous irez promettre à l’église ce que vous oublierez en sortant, pour ne vous en souvenir de votre vie. Mais, doux enfant ! (comme votre digne maman Norton vous appelle) pensez un peu moins à l’état conjugal, du moins jusqu’à ce que vous y soyez arrivée, et remplissez un peu mieux vos devoirs de fille. Comment pouvez-vous dire que tout le mal sera pour vous, tandis que vous en faites tomber une si grande partie sur votre père et votre mère, sur vos oncles, sur votre tante, sur moi et sur votre sœur, qui vous avons aimée si tendrement depuis près de dix-huit ans que vous êtes au monde ? Si je ne vous ai pas donné lieu, dans ces derniers tems, de faire beaucoup de fond sur ma faveur et ma compassion, c’est que dans ces derniers tems, vous avez peu mérité l’une et l’autre. Je ne comprends point votre idée, maligne petite folle que vous êtes, lorsqu’ajoutant que je ne suis que votre frère, (dégré de parenté fort léger apparemment pour vous) vous prétendez qu’il ne dépend pas moins de moi de vous rendre cette paix qui est entre vos mains quand vous voudrez la devoir à vous-même. Vous demandez pourquoi l’on vous ôte la liberté de refuser ? C’est, jolie petite miss, parce qu’on est persuadé qu’elle serait bientôt suivie de la liberté de choisir. Le misérable, à qui vous avez donné votre cœur, ne cesse de le dire ouvertement à tous ceux qui veulent l’entendre. Il se vante que vous êtes à lui ; et la mort est ce qu’il promet à quiconque entreprendra de lui enlever sa proie. C’est précisément ce point que nous pensons à lui disputer. Mon père, croyant pouvoir s’attribuer les droits de la nature sur un de ses enfans, est absolument déterminé à les soutenir : et je vous demande à vous-même ce qu’il faut penser d’un enfant qui donne la préférence à un vil libertin sur son père. Voilà le jour dans lequel tout ce débat doit être placé. Rougissez donc, délicatesse qui ne peut souffrir la citation du poëte ! Rougissez, modestie virginale ! Et si vous êtes capable de conviction, Miss Clary, rendez-vous à la volonté de ceux à qui vous devez l’être, et demandez à tous vos amis l’oubli et le pardon d’une révolte sans exemple. Ma lettre est plus longue que je ne me proposais de vous en écrire jamais, après l’insolence que vous avez eue de me le défendre. Mais je reçois la commission de vous déclarer que tous vos amis sont aussi las de vous tenir renfermée, que vous de l’être. Préparez-vous donc à vous rendre dans peu de jours chez votre oncle Antonin, qui, malgré vos craintes, fera lever son pont lorsqu’il le voudra, qui recevra chez lui des