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coûter. Il vous aime trop, et c’est en quoi il me semble qu’on pourrait douter de son jugement, auquel vous n’avez pas rendu d’ailleurs assez de justice. Consentez donc, pendant quinze jours seulement, à recevoir ses visites. Votre éducation (vous m’avez si bien parlé de la mienne !) ne doit vous permettre aucune incivilité pour personne. J’espère qu’il ne sera pas le premier homme (à l’exception de moi néanmoins) que vous voulussiez traiter grossièrement par la seule raison qu’il est estimé de toute votre famille. Je suis tout ce que vous avez dessein de faire de moi, un ami, un frère, un serviteur. Mon regret est de ne pouvoir pousser la politesse encore plus loin, pour une sœur si polie, si délicate ! James Harlove. P s. Il faut m’écrire encore ; du moins si votre bonté vous fait condescendre à nous honorer d’une réponse. Votre mère ne veut point être troublée par vos inutiles invocations . Le voilà encore, Mademoiselle Clary, ce malheureux terme qui vous déplaît. Répétez le nom de pédant à votre frère. à M Harlove le fils.

jeudi, 22 de mars. Permettez, mes très-chers et très-honorés père et mère, que, ne pouvant obtenir l’honneur de vous écrire directement, je vous dérobe un moment d’audience par cette voie ; du moins, si ma lettre trouve le chemin ouvert jusqu’à vous. Qu’il me soit permis de vous assurer qu’il n’y a qu’un invincible dégoût qui puisse me donner de l’opposition à vos volontés. Que sont les richesses, comparées au bonheur ? Pourquoi vouloir que je sois livrée cruellement à un homme pour lequel je ne sens que de l’aversion ? Qu’il me soit permis de répéter que la religion même me défend d’être à lui : j’ai de trop hautes idées des devoirs du mariage. Lorsque je prévois une vie misérable ; lorsque mon cœur y est moins intéressé que mon ame ; mon bonheur présent moins que mon bonheur futur ; pourquoi m’ ôterait-on la liberté du refus ? Cette liberté est tout ce que je demande ; il me serait aisé d’accorder quinze jours à la conversation de M Solmes, quoiqu’il ne m’en fût pas moins impossible de surmonter mon dégoût. Mais une maison écartée, une chapelle, et le peu de compassion que j’ai trouvé jusqu’à présent dans mon frère et ma sœur, sont capables de m’inspirer d’étranges craintes : et comment mon frère peut-il dire qu’à la prière de M Solmes ma prison finira chez mon oncle, lorsqu’elle doit devenir plus étroite que jamais ? Ne me menacera-t-on pas de tenir le pont fermé ? Aurai-je un père et une mère auxquels je puisse appeler en dernier ressort ? Je vous conjure de ne pas remettre à un frère et à une sœur votre autorité sur votre malheureuse fille ; à un frère et une sœur qui m’accablent de duretés et de reproches, et qui s’attachent, comme je n’ai que trop de raison de le craindre, à vous représenter sous de fausses couleurs mes discours et ma conduite ; sans quoi, il serait impossible qu’ayant toujours eu tant de part à votre faveur, je fusse tombée si bas dans votre estime. Tous mes vœux se réduisent à une seule grâce. Permettez-moi, ma chère mère, de travailler sous vos yeux, comme une de vos femmes ; et