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jeune homme violent et d’une réputation médiocre sur l’article des mœurs, qui se proposerait d’enlever à une famille de quelque distinction un enfant si précieux, et qui, ne pouvant obtenir la préférence sur un homme qu’elle aurait choisi, menacerait de s’en venger par la violence. J’ai ajouté qu’il se trompait beaucoup, s’il espérait de vous intimider par ces menaces ; que, malgré toute la douceur qui faisait le fond de votre caractère, je ne connaissais personne qui eût plus de fermeté que vous, ni qui fût plus inflexible, (comme votre famille l’avait éprouvé, et ne cesserait pas de l’éprouver, si elle continuait de vous en donner l’occasion) lorsque vous étiez bien persuadée que vous combattiez pour la vérité et la justice. Apprenez, lui ai-je dit, que Miss Clarisse Harlove, timide comme elle peut l’être quelquefois dans les occasions où sa pénétration et sa prudence lui font voir du danger pour ce qu’elle aime, est au-dessus de la crainte dans celles où son honneur et la véritable dignité de son sexe lui paroissent intéressés. En un mot, monsieur, vous vous flatteriez en vain de pousser Miss Clarisse Harlove, par l’effroi, à la moindre démarche qui soit indigne d’une ame supérieure. Il était si éloigné, m’a-t-il dit, de penser à vous intimider, qu’il me conjurait de ne pas vous dire un mot de ce qui lui était échappé avec moi : " s’il avait pris un air de menace, je devais le pardonner à la chaleur de son sang, qui bouillonnait de la seule idée de vous perdre pour toujours, et de vous voir précipitée dans les bras d’un homme que vous haïssez. Dans une si horrible supposition, il avouait que la considération du public serait peu capable de l’arrêter ; sur-tout, lorsque les menaces présentes de quelques personnes de votre famille, et le triomphe qu’ils feraient alors éclater, exciteraient et justifieraient également sa vengeance. " tous les pays du monde, a-t-il ajouté, étoient égaux à ses yeux. Il n’y mettait de différence que par rapport à vous ; et dans quelque résolution que son désespoir pût l’engager, s’il avait le malheur de vous perdre, il n’avait rien à redouter des loix de sa patrie. Je n’ai point aimé l’air dont il m’a tenu ce discours. Cet homme, ma chère, est capable des plus grandes témérités. Comme je n’ai pas manqué de lui en faire un reproche fort vif, il s’est efforcé de tempérer un peu cette furie, en me disant que, pendant que vous demeurerez fille, il souffrira toutes sortes d’indignités de la part de vos proches ; mais que, si vous vous déterminiez à vous mettre à couvert dans quelque lieu convenable (en supposant que vous n’ayez point de goût pour la protection de son oncle et de ses tantes, il m’a insinué adroitement celle de ma mère), ou si vous preniez le parti de vous retirer à Londres dans quelque maison d’ami, dont il n’approcherait pas sans votre permission, et d’où vous pourriez composer avec votre famille, il aurait l’esprit absolument tranquille ; et, comme il l’avait déjà dit, il attendrait patiemment le retour de M Morden, et la décision de son sort. Il connaissait si bien, m’a-t-il dit encore, l’entêtement de votre famille, et le fond qu’elle fait sur votre naturel et sur vos principes, qu’il tremblera pour vous aussi long-temps que vous serez exposée au double pouvoir de leurs persuasions et de leurs menaces. Notre conversation a duré beaucoup plus long-temps ; mais le reste ne m’ayant paru qu’une répétition de ce qu’il vous a dit dans votre dernière entrevue, je m’en rapporte à votre mémoire.