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cruauté qu’elle exerce sur vous. Son cœur, a-t-il continué, est dans une mortelle agitation, qui vient de la crainte où il est, à chaque moment, d’apprendre que vous vous soyez déclarée pour un homme méprisé de tout le monde. Il m’a fait le récit de quelques nouvelles indignités de la part de votre frère et de vos oncles. Il m’a déclaré que si vous étiez poussée malheureusement dans les bras de l’homme en faveur duquel il reçoit des traitemens si peu mérités, vous seriez bientôt une des plus jeunes, comme une des plus aimables veuves d’Angleterre, et qu’il ferait rendre compte aussi à votre frère de la liberté avec laquelle il parle de lui dans toutes les occasions. Il m’a proposé divers plans, dont il vous laisse le choix, pour vous délivrer des persécutions auxquelles vous êtes exposée. Je veux vous en apprendre un : c’est de reprendre votre terre, et, si vous trouvez des obstacles qui ne puissent être surmontés, d’accepter, comme il vous l’a proposé, l’assistance de ses tantes ou de milord M pour vous y établir. Il proteste que, si vous prenez ce parti, il vous laissera la liberté de vous consulter vous-même, et d’attendre l’arrivée et les avis de M Morden, pour ne vous déterminer que suivant le penchant de votre cœur, et suivant les preuves que vous aurez de la réformation dont ses ennemis prétendent qu’il a tant de besoin. J’avais une belle occasion pour le sonder, comme vous le désiriez de M Hickman, sur les sentimens que ses tantes et milord conservent pour vous, depuis qu’ils ne peuvent ignorer la haine que votre famille leur porte, comme à leur neveu. J’ai saisi le moment. Il m’a fait voir quelques endroits d’une lettre de son oncle, où j’ai lu effectivement, " qu’une alliance avec vous, sans autre considération que votre seul mérite, serait toujours ce qu’ils peuvent desirer de plus heureux. " et milord va si loin sur ce qui faisait le sujet de votre curiosité, " qu’à quelque perte, lui dit-il, que vous soyez exposée par la violence de votre famille, il l’assure, que lui et ses sœurs y suppléeront ; quoique la réputation d’une famille aussi opulente que la vôtre doive faire souhaiter, pour l’honneur des deux parties, que cette alliance se fasse avec un consentement général. " je lui ai dit, comme je savais que vous l’en aviez assuré vous-même, que vous aviez une extrême aversion pour M Solmes, et que si le choix dépendait de vous, votre préférence serait pour le célibat. Par rapport à lui, je ne lui ai pas dissimulé que vous aviez de grandes et justes objections à former contre ses mœurs ; qu’il me paroissait fort étrange que de jeunes gens, qui menaient une vie aussi licencieuse qu’on l’en accusait, eussent la présomption de croire que, lorsque la fantaisie leur prenait de se marier, la plus vertueuse et la plus digne personne de notre sexe fût justement celle qui devait leur tomber en partage : qu’à l’égard de votre terre, je vous avais fortement pressée, et je vous presserais encore de rentrer dans vos droits ; mais que jusqu’à présent vous en aviez paru fort éloignée : que vos principales espérances étoient dans M Morden, et que j’étais trompée si vous ne vous proposiez pas de suspendre vos résolutions et de gagner du tems jusqu’à son retour. Je lui ai dit qu’à l’égard de ses tragiques desseins, si l’exécution ou la menace pouvait être utile à quelqu’un, c’était à ceux qui vous persécutent, en leur fournissant un prétexte pour achever promptement leur ouvrage, et même avec l’approbation de tout le monde ; puisqu’il ne devait pas s’imaginer que la voix du public pût jamais être en faveur d’un