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pas à lui faire deux ou trois questions, dût-il porter la main sur son épée, ou m’envoyer un cartel. Je répète que c’est une nécessité pour moi de dire ce que je pense, et de l’écrire aussi. Il n’est pas mon frère. Pouvez-vous dire qu’il soit le vôtre ? Silence donc, si vous êtes juste, et ne vous fâchez pas contre moi. Pourquoi prendriez-vous parti pour un mauvais frère contre une véritable amie ? Un frère peut manquer à l’amitié ; mais un ami tiendra toujours lieu de frère. remarquez cela, dirait ici votre oncle Antonin. Je ne puis m’abaisser jusqu’à faire des réflexions particulières sur les lettres de ces pauvres espèces que vous appelez vos oncles. Cependant j’aime quelquefois aussi à me divertir de ces caractères grotesques. Mais il suffit que je les connaisse et que je vous aime ; je fais grâce à leurs absurdités. à présent, que je me suis expliquée avec tant de liberté, sur des sujets si touchans , (car je ne suis que trop persuadée qu’ils le sont pour vous) il faut que j’ajoute une réflexion qui achèvera de m’établir dans le droit de vous corriger. Elle regardera la conduite de certaines femmes, dont, vous et moi, nous connaissons plus d’une, qui se laissent dépouiller de leur volonté par des airs d’arrogance et d’emportement, au lieu d’être gagnées par des tendresses et des complaisances, qui seraient du moins une sorte d’excuse pour leur folie. Je dis donc que ce foible de quelques honnêtes femmes semble montrer qu’avec plusieurs personnes de notre sexe, un empire insolent réussit mieux que la douceur et la condescendance, à produire de la soumission. De bonne foi, ma chère, j’ai souvent pensé que la plupart des femmes sont de vraies poupées entre les mains d’un mari ; des folles outrées, et quelquefois très-mauvaises, lorsqu’il a trop d’indulgence pour leurs caprices, des esclaves rampantes, si elles sont menées avec rigueur. En faut-il conclure que la crainte nous dispose plus naturellement à obliger que l’amour ? Honneur ! Justice ! Reconnaissance ! Ne permettez pas qu’on puisse jamais faire ce reproche à une femme sensée ! Si je pouvais me défier que le style et le sujet de cette lettre ne vous fissent pas connaître de quelle impertinente plume elle est sortie, j’y joindrais mon nom dans toute son étendue, parce que mon cœur y a trop de part pour me permettre jamais de la désavouer. Mais il suffira que, sans affectation, j’en recommence bientôt une autre, et peut-être ensuite une troisième, et qu’elles partent ce soir ensemble. A H.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

jeudi 23, à dix heures du matin. L’envie me prend de différer, ou peut-être d’abandonner tout-à-fait plusieurs observations que je m’étais proposées sur d’autres endroits de vos lettres, pour vous informer que M Hickman, dans son dernier voyage à Londres, eut l’occasion de se procurer quelques éclaircissemens, sur la vie que M Lovelace y mène lorsqu’il y fait quelque séjour. Il se trouva au cocotier , avec deux de ses intimes amis, l’un qui se nomme Belton , l’autre Mowbray  ; tous deux fort libres dans leur langage, et l’air déterminé.