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lettre que vous avez reçue de votre mère avec les échantillons. Au fond, néanmoins, c’est une étrange démarche de la part d’une mère ; car son intention n’était pas de vous insulter : et j’ai regret qu’une si excellente femme ait pu descendre à tout l’art dont cette lettre est remplie. Il n’en paroît pas moins, dans quelques-unes des conversations dont vous m’avez fait le récit. Ne voyez-vous pas, dans cette conduite forcée, ce que des esprits violens peuvent obtenir d’un caractère plus doux, par leurs sollicitations impérieuses et leurs mauvais conseils ? Vous m’avez souvent grondée, et je m’attends à l’être encore, pour la manière libre dont je parle de quelques-uns de vos proches. Mais vos discours, ma chère, ne m’empêcheront point de vous dire qu’un sot orgueil ne mérite et ne s’attire effectivement que du mépris. La maxime est vraie ; et s’ils sont dans le cas de l’application, je ne vois aucune raison de les excepter. Je les méprise tous, à l’exception de votre mère, que je veux épargner en votre faveur. Dans les circonstances présentes, on trouverait peut-être une raison pour la justifier. Après avoir eu tant à souffrir, depuis si long-temps, du sacrifice continuel de sa propre volonté, elle peut s’imaginer plus facilement qu’une autre, qu’il en doit moins coûter à sa fille pour sacrifier la sienne. Mais quand je considère qui sont les premiers auteurs de vos disgrâces, mon sang s’échauffe… et, Dieu me pardonne ! Je crois que si j’avais été traitée comme vous, je serais déjà Madame Lovelace. Cependant, souvenez-vous, ma chère, que la même démarche dont on ne s’étonnerait pas dans une créature aussi pétulante que moi, serait inexcusable dans un caractère comme le vôtre. Votre mère, une fois entraînée contre son propre jugement, je ne suis plus surprise que votre tante Hervey ait embrassé le même parti. On sait que les deux sœurs n’ont jamais été d’avis différent. Mais je n’ai pas laissé d’approfondir la nature des obligations que M Hervey s’est imposées, par un désordre dans ses affaires qui n’a pas fait trop d’honneur à sa conduite. Bagatelle, ma chère ; il s’agit seulement d’une grande partie de son bien, engagée, pour la moitié de sa valeur, à votre frère, sans quoi, elle aurait été vendue par ses créanciers. Il est vrai, qu’entre parens la faveur est assez mince, puisque votre frère n’a pas négligé ses sûretés. Mais toute la famille des Hervey ne laisse pas de se trouver assujettie au moins généreux de tous les bienfaiteurs, qui en a pris droit, comme Miss Hervey me l’a dit elle-même, de traiter son oncle et sa tante avec beaucoup moins de cérémonie. La patience m’échappe. Faut-il que je donne le nom de votre frère ?… mais il le faut, ma chère, parce qu’il est né du même père que vous. Cette réflexion, j’espère, n’a rien qui vous offense. Je regrette beaucoup que vous lui ayez écrit. C’est avoir marqué pour lui trop d’attention. C’est avoir ajouté quelque chose à l’opinion qu’il a de son importance, et l’avoir excité à vous traiter plus insolemment : occasion que vous deviez être sûre qu’il ne laisserait point échapper. Il convenait bien à ce joli personnage de chercher querelle à un Lovelace, si ce n’était pour apprendre de lui à remettre son épée au fourreau, lorsqu’il pourra la tirer par accident ! Ces insolens de commande, qui font l’épouvante des femmes, des enfans et des domestiques, sont ordinairement des poltrons entre les hommes. S’il lui arrivait de se trouver en mon chemin, ou de me tenir en face quelques-uns des mauvais propos qui lui échappent sur mon compte et sur notre sexe, je ne balancerais