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marqués, et une épaisse machoire, il n’a pas la moitié de l’air mâle qui est répandu dans l’agréable physionomie de Lovelace. Et puis, quelle affectation de singularité dans bien des choses ! Je n’ai pas encore eu le courage de railler l’espèce d’évantail empesé qui lui pend au cou, parce que ma mère trouve qu’elle lui sied bien, et que je ne voudrais pas d’ailleurs être assez libre avec lui pour lui faire connaître que je souhaiterais de le voir autrement. Si je m’expliquais là-dessus, le goût de l’homme est si bizarre, qu’en ne consultant que lui-même, il prendrait un modèle de cravate sur quelque vieux portrait du roi Guillaume, où le menton de ce prince repose comme sur un coussin. à l’égard de son habillement, on ne saurait dire qu’il soit jamais mal-propre ; mais il est quelquefois trop magnifique, et quelquefois trop simple, pour mériter le nom d’élégant. Dans ses manières, il y a tant d’apprêt, tant de parade, qu’on les croirait de commande plutôt que familiéres et naturelles. Je sais que vous attribuez ce défaut à la crainte d’offenser ou de déplaire ; mais, en vérité, vos cérémonieux outrés tombent souvent dans le cas qu’ils veulent éviter. Hickman, au reste, est honnête homme. Il est de très-bonne famille. Son bien est considérable ; et quelque jour, voyez-vous ? Il peut devenir baronnet . Il a le cœur humain et sensible ; on le dit passablement généreux, et je pourrais le dire aussi, si je voulais accepter ses présens, qu’il m’offre sans doute dans l’espérance qu’ils lui reviendront un jour, avec celle qui les aurait reçus ; méthode que tous les corrupteurs emploient


avec succès, depuis l’ancien Satan

jusqu’au plus vil de ses serviteurs. Cependant, pour parler le langage d’une personne que je suis faite pour respecter, c’est un homme prudent

c’est-à-dire, un excellent économe. Au bout du compte, je ne saurais dire que j’aie à présent plus de goût pour un autre que pour lui, de quelque manière que j’aie pu penser autrefois. Il n’a point la passion de la chasse ; et s’il entretient une meute, il ne préfère pas, du moins ses chiens aux créatures de son espèce. J’avoue que ce n’est pas un mauvais signe pour une femme. Il aime ses chevaux ; mais sans avoir le goût des courses, qui devient un jeu de hasard. Il n’a pas plus d’inclination pour les autres jeux. Il est sobre, modeste ; en un mot, il a les qualités que les mères aiment dans un mari pour leurs filles, et que les filles devraient peut-être aimer pour elles-mêmes, si elles étoient capables de juger aussi bien dans leur propre cause, que l’expérience leur apprendra quelque jour à juger dans celle de leurs filles futures. Malgré tout, pour vous parler de bonne foi, je ne crois pas que j’aime Hickman, ni qu’il m’arrive jamais de l’aimer. C’est une chose étrange, que dans tous ces sages galans, la modestie ne puisse être accompagnée d’une vivacité décente et d’une honnête assurance ; qu’ils ne sachent pas joindre à leurs bonnes qualités un certain air, qui, sans être jamais séparé du respect, dans les soins qu’ils rendent à une femme, soit capable de montrer l’ardeur de leur passion plutôt que le fonds doucereux de leur naturel. Qui ne sait pas que l’amour se plaît à dompter les cœurs de lion ; que les femmes à qui leur conscience reproche le plus de manquer de courage, desirent naturellement, et sont portées à préférer l’homme qui en est le mieux partagé, comme