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de lui, c’est-à-dire, de ses bonnes et de ses mauvaises qualités, comme si j’écrivais à quelqu’un qui ne le connût pas ? Oui ; je crois que j’y suis résolue. Mais le moyen de traiter gravement ce sujet ? Nous n’en sommes point encore au ton grave ; et la question, de lui à moi, est de savoir si nous y serons jamais. Cependant, quoique je fusse très-aise de pouvoir adoucir un moment vos chagrins par mes peintures extravagantes, la plaisanterie ne s’accorde guère avec le sentiment présent d’une inquiétude aussi vive que celle que j’ai pour vous. J’ai été interrompue, et c’est à l’occasion de l’honnête Hickman. Il était ici depuis deux heures, faisant apparemment sa cour à ma mère pour sa fille, quoiqu’elle n’ait pas besoin d’être pressée en sa faveur. Il est bon que l’une supplée à l’autre ; sans quoi le pauvre homme aurait trop de peine à partager ses soins, et se trouverait fatigué d’un si rude exercice. Il était prêt à partir ; ses chevaux dans la cour. Ma mère m’a fait appeler, sous prétexte d’avoir quelque chose à me dire. Elle m’a tenu en effet un discours qui ne signifiait rien, et j’ai conçu clairement que l’unique raison qu’elle avait eue de me faire descendre, était pour me rendre témoin de la bonne grâce avec laquelle il fait une révérence, et pour lui donner l’occasion de me souhaiter le bon jour. Elle sait que je n’ai pas d’empressement à le favoriser de ma présence, lorsque je suis engagée d’un autre côté. Je n’ai pu m’empêcher de prendre un air un peu froid, en m’appercevant qu’elle n’avait rien à me dire, et quelle était son intention. Elle m’a raillée de mes distractions, afin que son homme partît sans chagrin. Il m’a fait une révérence jusqu’à terre. Il aurait voulu prendre ma main d’une des siennes ; mais je n’ai pas jugé à propos de servir de pendant à son fouet, qu’il tenait de l’autre. Je l’ai retirée, en la portant vers son épaule ; comme si je m’étais hâtée de le soutenir, dans la crainte qu’il ne donnât du nez contre terre à force de se baisser. Eh, mon dieu, lui ai-je dit, si vous veniez à tomber ! La folle créature ! A dit ma mère en souriant. Cette mauvaise plaisanterie l’a tout-à-fait décontenancé. Il s’est retiré en arrière, la bride en main, et toujours faisant des révérences, jusqu’à ce que, rencontrant son laquais, il a pensé le renverser en se relevant. J’ai ri de tout mon cœur. Il est monté, il a piqué des deux ; et, pour n’avoir pas voulu me quitter des yeux, il a failli de se tuer contre la porte. Je suis rentrée, la tête si pleine de lui, qu’il faut que je reprenne mon dessein. Peut-être serai-je assez heureuse pour vous divertir un moment. Songez que je le peins du bon et du mauvais côté. Hickman est un de ces hommes inutiles, qui, pour me servir d’une de vos expressions, ont l’air affairé sans avoir jamais d’occupations sérieuses. Il est rempli de projets dont il n’exécute jamais aucun ; irrésolu, ne se tenant à rien, excepté au plaisir de me tourmenter par ses ridicules propos d’amour, dans lesquels il est évident qu’il est soutenu par la faveur de ma mère, plutôt que par ses propres espérances, puisque jamais je ne lui en ai donné aucune. J’en veux à son visage : quoiqu’en général, pour un corps aussi replet, on puisse dire que la figure d’Hickman est assez bien ; ce n’est pas de beauté que je lui reproche de manquer ; car, suivant votre observation, qu’est-ce que la beauté dans un homme ? Mais, avec des traits bien