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point dans cette posture devant moi. Gardez pour vous seule ce que je vais vous dire : j’ai plus d’admiration pour vous que je ne puis l’exprimer : si vous pouvez éviter de réclamer vos droits sur la terre de votre grand-père, et si vous avez la force de renoncer à Lovelace, vous continuerez d’être la plus grande merveille que j’aie connue à votre âge… mais je suis obligée de descendre avec votre sœur. Voici mes derniers mots : conformez-vous, si vous le pouvez, aux volontés de votre père. Quel mérite ne vous ferez-vous pas par votre soumission ? Demandez-en la force au ciel. Vous ne savez pas tout ce qui peut arriver. Un mot, ma chère tante ! Encore un mot (car elle me quittait) ; employez tout votre crédit pour ma chère Madame Norton. Elle est fort mal dans ses affaires. S’il lui arrivait de tomber malade, elle aurait beaucoup de peine à subsister sans le secours de ma mère. Il ne me restera aucun moyen de la soulager, car je manquerai plutôt du nécessaire que de réclamer mes droits. Et je puis vous assurer qu’elle m’a fait de si fortes représentations, pour me porter à l’obéissance, que ses argumens n’ont pas peu contribué à m’affermir dans la résolution d’éviter toutes les voies extrêmes, auxquelles je prie le ciel, néanmoins, de n’être jamais forcée. Hélas ! On ne laisse pas de m’ ôter le secours de ses conseils ; et l’on pense mal d’une des plus vertueuses femmes du monde ! Je suis ravie de ces sentimens, m’a dit ma tante ; et recevez ce baiser, et celui-ci, et celui-ci encore, ma charmante nièce, (car elle me nommait ainsi presque à chaque mot, en pressant mes joues de ses lèvres, et serrant ses bras autour de mon cou) ; que le ciel vous protége ! Qu’il vous serve de guide ! Mais il faut vous soumettre. Je vous déclare qu’il le faut. En un mot, on ne vous accorde qu’un mois. Et souvenez-vous, miss, qu’il faut obéir. Je suppose que cette déclaration est ce que ma sœur avait nommé ma sentence. Cependant, elle n’a rien de pire que celle qu’on m’avait déjà prononcée. Il m’a paru que ma tante affectait d’élever la voix en répétant ces derniers mots : et souvenez-vous, miss, qu’il faut obéir . Elle m’a quittée aussi-tôt. Tout ce que j’ai ressenti dans cette cruelle scène, se renouvelle en vous l’écrivant. Ma plume tombe de mes mains, et je vois toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, au travers d’un déluge de pleurs. Mercredi à cinq heures. J’ajouterai quelques lignes. Ma tante, en me quittant, a trouvé ma sœur, qui l’attendait au bas de l’escalier, et qui lui a reproché de s’être arrêtée long-temps après elle. Cependant elle a loué ses derniers mots, qu’elle peut fort bien avoir entendus, et elle s’est écriée, sur mon obstination : l’auriez-vous cru, madame, que votre Clarisse, cette fille si chère à tout le monde, fût d’un si mauvais caractère ? Et qui, de son père ou d’elle, comme vous lui avez dit, est obligé à la soumission ? Ma tante a répondu d’un ton qui marquait de la pitié ; mais je n’ai pu distinguer ses termes. N’admirez-vous pas, ma chère, cette étrange persévérance dans une entreprise si peu raisonnable ? Mais je m’imagine que mon frère et ma sœur donnent continuellement de mauvaises interprétations à tout ce qui vient de moi ; et malheureusement je n’ai personne qui ose prendre ma