Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/200

Cette page n’a pas encore été corrigée

tante, je le serais bientôt de vaincre. Ce qui paraît un puissant motif à mes amis, n’en peut être un pour moi. Combien de fois l’ai-je répété ? Qu’il me soit permis de vivre fille. Est-ce une faveur qu’on ne puisse m’accorder ? Qu’on me laisse partir pour l’écosse, pour Florence, pour tout autre lieu qu’on voudra choisir. Qu’on m’envoie aux Indes en qualité d’esclave. Je puis consentir à tout, mais je ne m’engagerai point par des sermens, à vivre avec un homme qu’il m’est impossible de supporter. Bella gardait le silence, les mains levées, comme dans l’admiration de mon endurcissement. Je vois, m’a dit ma tante en se levant, que rien ne peut fléchir votre esprit. à quoi servent les ménagemens ? A interrompu ma sœur. Vous voyez, madame, que c’est bonté perdue. Déclarez-lui nettement à quoi elle doit s’attendre. Prononcez lui sa sentence. Ma tante, la prenant par la main, s’est retirée vers une fenêtre, les larmes aux yeux. Je ne puis, miss, en vérité je ne puis, lui a-t-elle dit doucement (mais j’entendais jusqu’au moindre mot) il y a bien de la dureté dans la manière dont on la traite. C’est un cœur noble, après tout. Quel malheur que les choses aient été poussées si loin ! Mais il faut engager M Solmes à se désister. Eh quoi, madame ! Lui a répondu ma sœur, d’une voix sourde, mais fort animée, vous laissez-vous prendre aussi par cette petite sirène ? Ma mère a bien fait de n’être pas venue. Je doute si mon père même, après avoir jeté son premier feu, ne se laisserait pas vaincre par ses artifices. Il n’y a que mon frère, j’en suis sûre, qui soit capable de la réduire. Ne pensez point à faire monter votre frère, a repliqué ma tante ; je le trouve beaucoup plus furieux qu’il ne convient. Elle ne marque rien, dans ses manières, qui sente l’obstination et la perversité. Si votre frère venait, je ne répondrais pas des suites ; car je l’ai crue deux ou trois fois prête à s’évanouir. Ho, madame ! Elle a le cœur plus fort que vous ne vous l’imaginez. Vous voyez ce qui vous revient, de vous être mise à genoux devant elle. Ma tante est demeurée dans ses réflexions, à la fenêtre, le dos tourné vers moi. Ce temps a paru propre à Bella pour m’insulter encore plus barbarement. Elle est passée dans mon cabinet, où elle a pris les échantillons que ma mère m’avait envoyés ; et, me les apportant, elle les a étendus près de moi sur une chaise. Elle me les a montrés l’un après l’autre, sur sa manche et sur son épaule, et, d’une voix basse, pour n’être point entendue de ma tante, elle m’a donné ironiquement son avis sur chaque couleur : cette étoffe sera sans doute pour le jour de la noce, celle-là pour le lendemain. Qu’en dites-vous, mon amour, et ce fond de velours cramoisi ? Je le trouve admirable pour un aussi beau teint que le vôtre. Quel éclat il va vous donner ! Vous soupirez, ma chère, (en effet la douleur m’arrachait quelques soupirs) ! Et ce velours noir, fera-t-il mal, à votre avis, avec des yeux si charmans ? Lovelace ne vous dit-il pas que vous avez des yeux adorables ? Mais quoi ! L’amour… vous ne répondez rien. Et les diamans donc ? Les dentelles… elle aurait continué, si ma tante n’était revenue vers nous en s’essuyant les yeux. Quoi, mesdemoiselles ! Un entretien secret ? Vous paroissez si gaie et si contente, Miss Harlove, que j’en conçois beaucoup d’espérance. Ma sœur a répondu qu’elle me donnait son avis sur les étoffes, à la vérité,