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Dans la troisième visite, Bella se conduisit par un principe si plein de raison et d’humanité ; de sorte que, sur le récit qu’elle en fit elle-même, M Lovelace devait s’être expliqué. Mais sa timidité fut encore la même. Il n’eut pas la force de surmonter un respect si peu de saison. Ainsi cette visite n’eut pas d’autres succès que les premières.

Ma sœur ne dissimula plus son mécontentement. Elle compara le caractère général de M Lovelace, avec la conduite particulière qu’il tenait avec elle ; et n’ayant jamais fait d’autre épreuve de galanterie, elle avoua qu’un amant si bizarre lui causait beaucoup d’embarras. " quelles étoient ses vues ? Ne lui avait-il pas été présenté comme un homme qui prétendait à sa main ? Ce ne pouvait être timidité, à présent qu’elle y pensait ; puisqu’en supposant que le courage lui manquât pour s’ouvrir à elle-même, il aurait pu s’expliquer avec son oncle. Non que d’ailleurs elle s’en souciât beaucoup ; mais n’était-il pas juste qu’une femme apprît les intentions d’un homme de sa propre bouche, lorsqu’il pensait à l’épouser ? Pour ne rien déguiser, elle commençait à croire qu’il cherchait moins à cultiver son estime, que celle de sa mère. à la vérité, tout le monde admirait avec raison la conversation de sa mère : mais si M Lovelace croyait avancer ses affaires par cette voie, il était dans l’erreur : et pour son propre avantage, il devait donner des raisons d’en bien user avec lui, s’il parvenait à faire approuver ses prétentions. Sa conduite, elle ne faisait pas difficulté de le dire, lui paroissait d’autant plus extraordinaire, qu’il continuait ses visites en marquant une passion extrême de cultiver l’amitié de toute la famille, et que si elle pouvait prendre sur elle de se joindre à l’opinion que tout le monde avait de lui, il ne pouvait douter qu’elle n’eût assez d’esprit pour l’entendre à demi-mot, puisqu’il avait remarqué quantité d’assez bonnes choses qui étoient sorties de sa bouche, et qu’il avait paru les entendre avec admiration. Elle était obligée de le dire, les réserves coutaient beaucoup à un caractère aussi ouvert et aussi libre que le sien. Cependant elle étoit bien aise d’assurer ma tante (à qui tout ce discours était adressé) qu’elle n’oublierait jamais ce qu’elle devait à son sexe et à elle-même ; M Lovelace fût-il aussi exempt de reproche par sa morale que par sa figure, et devint-il beaucoup plus pressant dans ses soins " ? Je n’étais pas de son conseil. J’étais encore absente. La résolution fut prise, entre ma tante et elle, que s’il n’arrivait rien, dans sa première visite, qui parût lui promettre une explication, elle prendrait un air froid et composé. Mais il me semble que ma sœur n’avait pas bien considéré le fond des choses. Ce n’était pas cette méthode, comme l’expérience l’a fait voir, qu’il fallait employer avec un homme de la pénétration de M Lovelace, sur des points de pure omission, ni même avec tout autre homme ; car, si l’amour n’a pas jeté des racines assez profondes pour en faire naître la déclaration, sur-tout lorsque l’occasion en est offerte, il ne faut pas attendre que le chagrin et le ressentiment puissent servir à l’avancer. D’ailleurs, ma chère sœur n’a pas naturellement la meilleure humeur du monde. C’est une vérité que je m’efforcerais inutilement de cacher, sur-tout à vous. Il y a donc beaucoup d’apparence qu’en voulant paraître un peu plus difficile qu’à l’ordinaire, elle ne se montra pas fort à son avantage.

J’ignore comment cette conversation fut ménagée. On serait tenté de croire, par l’événement,