Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/194

Cette page n’a pas encore été corrigée

appelez ses rugissemens. Je lui promettrai que, si je me marie jamais, ce ne sera point avant qu’il soit marié lui-même ; s’il n’est pas satisfait de cette condescendance, je penserai qu’il le doit être ; et je donnerai toutes les assurances qu’on exigera, de ne jamais le voir, et de n’entretenir aucune correspondance avec lui. Assurément ces offres seront approuvées. Mais je suppose qu’alors vous aurez la complaisance de voir M Solmes, et de converser civilement avec lui, du moins comme avec un ami de mon père. Non : je compte qu’il me sera permis de me retirer dans mon appartement lorsqu’il paraîtra ; je n’aurai pas plus de conversation avec l’un, que de correspondance avec l’autre. Ce serait donner occasion à M Lovelace de se rendre coupable de quelque témérité, sous prétexte que je n’aurai rompu avec lui que pour me donner à M Solmes. Ainsi vous avez accordé tant d’empire sur vous à ce misérable, que la crainte de l’offenser vous empêchera de traiter civilement les amis de votre père dans sa propre maison ! Lorsque cette condition sera présentée, daignez me dire ce que vous en pouvez attendre. Tout, ou rien, lui ai-je répondu, suivant le tour qu’il lui plairait de donner à son récit. Ayez la bonté, Bella, de lui en donner un favorable : dites que j’abandonnerai à mon père, dans toutes les formes, à mes oncles et même à mon frère, les droits dont j’ai l’obligation au testament de mon grand-père, comme une sûreté pour l’exécution de mes promesses. N’ayant rien à espérer de mon père, si je les viole, il ne sera plus à craindre que personne veuille de moi pour sa femme. Bien plus, malgré les mauvais traitemens que j’ai reçus de mon frère, je l’accompagnerai secrètement en écosse, pour lui servir de femme de charge ; à la seule condition qu’il n’en usera pas plus mal avec moi qu’avec une femme à ses gages ; ou si notre cousin Morden s’arrête plus long-temps en Italie, j’irai volontiers le rejoindre à Florence : et dans l’un de ces deux cas, on publiera que j’ai choisi l’autre, ou que je suis allée au bout du monde ; car il m’importe peu dans quel lieu l’on dise que je suis allée ou que je dois aller. Je n’ai qu’une demande à vous faire, mon enfant : donneriez-vous ces jolies propositions par écrit ? Oui, de tout mon cœur ; et je suis passée dans mon cabinet, où non-seulement j’ai réduit tous ces articles en peu de mots, mais j’y ai joint quelques lignes pour mon frère, par lesquelles " je lui témoignais un vif regret de l’avoir offensé, je le suppliais d’appuyer mes propositions de son crédit, et de dresser lui-même un engagement qui fût capable de me lier ; je lui disais, qu’il avait plus de pouvoir que personne, pour me réconcilier avec mon père et ma mère, et que je lui serais obligée toute ma vie, s’il voulait que je fusse redevable de cette grâce à l’amitié fraternelle ". Comment croyez-vous que ma sœur ait passé le tems, pendant que je l’employais à écrire ? à promener ses doigts sur mon clavecin, en s’accompagnant doucement de la voix, pour marquer son indifférence. Lorsque je me suis approchée d’elle avec mon écrit, la cruelle s’est levée d’un air léger : vous n’avez pas encore fini, ma chère ? ô ! Cela est fait, j’en suis sûre. Quelle facilité à se servir de sa plume ! Eh ! M’est-il permis de lire ?