Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/192

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mon cœur obstiné ! Y pensez-vous, Bella ? Oui, obstiné ; car avez-vous jamais su ce que c’est que de céder ? N’avez-vous pas toujours eu l’art de faire croire que tout ce que vous demandiez était juste ; tandis que mon frère et moi, nous avions souvent le chagrin de nous voir refuser des faveurs fort légères ? Je ne me souviens point, Bella, d’avoir jamais rien demandé qu’il ne convînt pas de m’accorder. Et mes demandes ont été rares pour moi-même, quoiqu’elles l’aient été moins pour d’autres. Qu’il y avait de méchanceté dans mes réflexions ! Tout ce que vous dites, Bella, regarde un tems fort ancien : je ne puis remonter si loin, jusqu’aux folies de notre enfance ; et je ne me serais pas imaginé que les marques récentes de votre aversion vinssent d’une source si éloignée. Elle m’a reproché encore un excès de malignité, une insolente apparence de modération, du venin caché dans mes moindres paroles. ô Clary ! Clary ! Tu n’as jamais été qu’une fille à deux faces ! Personne, lui-ai-je dit, n’a jugé que je fusse une fille à deux faces , lorsque j’ai tout abandonné à la disposition de mon père, et qu’avec un revenu si considérable, je me suis contentée, comme auparavant, de la petite pension qu’il me fait, sans désirer la moindre augmentation. Oui, rusée créature, c’est encore un de vos artifices. N’avez-vous pas prévu qu’un excellent père se croirait engagé, par ce respect et ce désintéressement affectés, à mettre en réserve tout le produit de vos revenus, et qu’il n’exercerait ainsi que l’office de votre intendant, tandis qu’il ne cesserait pas de vous faire votre pension domestique ? Autre de vos ruses, Miss Clary. Il arrive delà que toutes vos extravagantes dépenses ne vous ont rien coûté du vôtre. Mes extravagantes dépenses, Bella ! Mon père m’a-t-il jamais rien donné de plus qu’à vous ? Non, j’en conviens ; je vous ai l’obligation d’avoir obtenu, par cette voie, plus que ma conscience peut-être ne m’aurait permis de demander. Mais j’en pourrais montrer encore la plus grande partie. Et vous, que vous en reste-t-il ? Je parierais que vous n’avez pas cinquante guinées de reste. Il est vrai, Bella, que j’aurais peine à montrer cette somme. Oh ! J’en suis bien sûre. Je suppose que votre maman Norton… mais paix là-dessus. Indigne Bella ! Cette vertueuse femme, toute malheureuse qu’elle est du côté de la fortune, a l’ame véritablement noble ; plus noble que ceux qui seraient capables de lui imputer la moindre bassesse de sentimens. Qu’avez-vous donc fait de toutes les sommes qu’on vous a laissé dissiper depuis votre enfance ? Lovelace, votre libertin, vous en ferait-il l’intérêt ? Pourquoi suis-je obligée de rougir pour ma sœur ? Cependant, Bella, vous ne vous trompez point : je compte sur l’intérêt de mon argent, et sur l’intérêt de l’intérêt. Je le crois mieux placé que dans la rouille d’un cabinet. Elle m’entendait, m’a-t-elle répondu. Si j’eusse été d’un autre sexe, elle aurait supposé que je pensais à briguer les suffrages du canton. La popularité, le plaisir de me voir environnée, à la porte de l’église, par une foule de misérables, étoient un attrait charmant pour mes yeux. Les