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digne d’elle d’accorder toute sa compassion à l’infortune d’une sœur, que de s’en faire un triomphe ; sur-tout lorsque je n’avais que trop de raison d’attribuer une grande partie de mes disgrâces à l’emploi qu’elle faisait elle-même d’une partie de ses heures de veille. Ce dernier trait l’a piquée jusqu’au vif. Je me suis aperçue qu’elle se faisait violence, pour me rappeler d’un ton modéré la douceur avec laquelle j’avais été traitée par tous mes amis, ma mère particulièrement, avant l’extrémité où les choses étoient parvenues. Elle m’a dit que je m’étais fait connaître par des qualités dont on ne m’aurait jamais soupçonnée ; que si l’on m’eût connue pour une championne si brave, personne n’aurait eu la hardiesse de se mesurer avec moi ; mais que malheureusement l’affaire était trop engagée ; qu’il étoit question de savoir lequel devait l’emporter, de l’obéissance ou de la révolte, et si l’autorité d’un père devait céder à l’obstination d’une fille ; en un mot, qu’il fallait plier ou rompre . Dans une occasion moins triste, lui ai-je dit, je m’abandonnerais volontiers comme vous à cette légère plaisanterie. Mais si M Solmes a tant de mérite, au jugement de tout le monde, et particulièrement au vôtre, pourquoi ne m’en ferait-on pas un beau-frère plutôt qu’un mari ? ô la pauvre enfant ! Elle s’imaginait de bonne foi que j’étais aussi plaisante qu’elle-même. Elle commençait à bien espérer de moi. Mais pouvais-je penser qu’elle voulût dérober à sa sœur un amant si soumis ? Si ses premiers soins eussent été pour elle, il y aurait eu quelque justice dans cette idée. Mais prendre le refus d’une sœur cadette ! Non, non, mon enfant, c’est de quoi il n’est pas question. D’ailleurs, ce serait ouvrir la porte de votre cœur, vous savez à qui ; et nous cherchons, au contraire, à la fermer, s’il est possible. En un mot (changeant ici de ton et de contenance), si j’avais marqué autant d’empressement qu’une jeune personne de ma connaissance, à me jeter entre les bras d’un des plus grands libertins d’Angleterre, qui eût entrepris de faire réussir ses prétentions au prix du sang de mon frère, je ne serais pas étonnée de voir toute ma famille réunie pour m’arracher à ce misérable, et pour me marier promptement à quelque honnête homme qui se présenterait à propos dans la même occasion. Voilà, Clary, de quoi il est question ; et ne vous fatiguez pas à l’expliquer autrement. Un discours si outrageant ne méritait-il pas une vive réponse ? Dites, ma chère, qu’il la méritait, pour justifier la mienne. Hélas ! Ma pauvre sœur ! Lui ai-je dit ; l’homme dont vous parlez n’a pas toujours passé pour un si grand libertin. Qu’on a raison de dire que l’amour mal reconnu se change en haine ! J’ai cru qu’elle allait me battre. Mais je n’ai pas laissé de continuer froidement : on me parle souvent du péril où mon frère est exposé, et du meurtrier de mon frère : lorsqu’on fait si peu de façon avec moi, pourquoi ne m’expliquerais-je pas librement ? N’est-ce pas mon frère qui a cherché l’autre, et qui l’aurait tué s’il l’avait pu ? Lui aurait-il donné la vie, s’il avait dépendu de lui de la lui ôter ? Ce n’est point à l’agresseur qu’il convient de se plaindre. à l’égard des choses qui sont présentées à propos , plût au ciel que certaines propositions l’eussent été ! Ce n’est pas ma faute, Bella, si l’homme qui serait à propos , ne juge plus à propos de se présenter pour vous.