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et si misérable aujourd’hui ! Ma mère pouvait bien le dire, que j’aurais de rudes épreuves à essuyer ! p s. l’imbécille (car voilà comme je suis traitée) est demandée comme par grâce pour une autre sorte d’épreuve. Mon frère et ma sœur désirent qu’on me remette entièrement à leur conduite. On m’assure que mon père y a déjà consenti, quoique ma mère s’y oppose encore. Mais s’ils l’obtiennent, quelle cruauté ne dois je pas attendre de leur haine et de leur jalousie ? Cet avis m’est venu de ma cousine Dolly Hervey , par un billet qu’elle a laissé tomber au jardin, sur mon passage. Elle me dit qu’elle brûle de me voir, mais que la défense est expresse, avant que je sois Madame Solmes, ou que j’aie consenti à prendre ce beau nom. Leur persévérance me donne l’exemple ; et je le suivrai, n’en doutez pas.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

il s’est passé une scène fort vive, ou plutôt une vraie scène d’injures entre ma sœur et moi. Auriez-vous cru, ma chère, que je fusse capable de dire des injures ? Elle m’a été envoyée sur le refus que j’ai fait de voir M Solmes. C’est une furie, je pense, qu’on a lâchée sur moi. Idées de paix et de conciliation, vaine espérance dont je m’étais flattée ! Je vois bien que, du consentement de tout le monde, je serai abandonnée à elle et à mon frère. Dans tout ce qu’elle a dit contre moi, je veux rendre justice à ce qui a quelque apparence de force. Comme je ne demande votre jugement que sur des faits, ma cause serait fort suspecte à mes propres yeux, si je m’efforçais de tromper mon juge. Elle a commencé par me représenter à quel danger j’étais exposée, si mon père était monté à ma chambre, comme il y était résolu. Je devais entr’autres, des remerciemens à M Solmes, qui l’en avait empêché. Elle a fait tomber quelques réflexions malignes sur Madame Norton, qu’elle soupçonne de m’avoir encouragée dans mon opiniâtreté. Elle a tourné en ridicule mon estime supposée pour Lovelace. Sa surprise était extrême de voir la spirituelle, la prudente, et même la pieuse Clarisse Harlove, si passionnée pour un infame débauché, que ses parens se trouvaient obligés de la tenir enfermée, pour l’empêcher de courir entre les bras de cet indigne amant. Que je vous demande, ma chère, m’a-t-elle dit, quel ordre vous mettez à présent dans la disposition de votre temps ; combien d’heures, dans les vingt-quatre, vous donnez à votre aiguille, combien à vos exercices de piété, combien à vos correspondances de lettres, et combien à vos amours. Je me doute, je me doute, ma chère petite, que ce dernier article, semblable à la verge d’Aaron, absorbe tout le reste. Parlez ; n’est-ce pas la vérité ? Je lui ai répondu que c’était une double mortification pour moi de devoir ma sûreté contre l’indignation de mon père, à un homme pour lequel je ne serai jamais capable d’aucun sentiment de reconnaissance. J’ai apporté toute la chaleur que je devais, à justifier le caractère de Madame Norton ; et je n’en ai pas mis moins dans ma réponse à ses injurieuses réflexions sur l’article de M Lovelace. à l’égard de l’emploi que je fais de mes vingt-quatre heures, je lui ai dit qu’il aurait été plus