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Jugez, très-chère amie, combien je dois avoir été touchée d’une lettre où de si terribles déclarations sont accompagnées de tant de tendresse et de bonté ! Hélas ! Me suis-je écriée, pourquoi me vois-je condamnée à des combats si rudes, entre un ordre auquel je ne puis obéir, et un langage qui me pénètre le cœur ? Si j’étais sûre de tomber morte au pied de l’autel avant qu’une fatale cérémonie puisse donner, à l’homme que je hais, des droits sur mes sentimens, je crois que je me soumettrais à m’y laisser conduire. Mais penser à vivre avec un homme et pour un homme qu’on ne peut souffrir, quel comble d’horreur ! Et puis, comment suppose-t-on que l’éclat des habits et des ornemens soit capable de faire quelque impression sur une fille qui a toujours eu pour principe, que l’unique vue des femmes, dans le soin qu’elles prennent de leur parure, doit être de se conserver l’affection de leur mari, et de faire honneur à son choix ? Dans cette idée, la richesse même des ajustemens qui me sont offerts, ne doit elle pas augmenter mes dégoûts ? Grand motif en vérité, pour se parer, que celui de plaire à M Solmes ? En un mot, il ne m’a point été possible de descendre aux conditions qui m’étoient imposées. Croyez-vous, ma chère, que je l’aie pu ? D’écrire, en supposant même qu’on m’eût fait la grâce de lire ma lettre, qu’aurais-je écrit après tant d’efforts inutiles ? Qu’aurais-je offert qui pût être approuvé ? J’ai promené les tourmens de mon cœur dans toutes les parties de ma chambre. J’ai jeté, avec dédain, les échantillons vers la porte. Je me suis enfermée dans mon cabinet ; j’en suis sortie aussi-tôt. Je me suis assise tantôt sur une chaise, tantôt sur une autre ; je me suis approchée successivement de toutes mes fenêtres ; je ne pouvais m’arrêter à rien. Dans cette agitation, je prenais la lettre pour la relire, lorsque Betty, chargée des ordres de mon père et de ma mère, est venue m’avertir qu’ils m’attendaient tous deux dans le cabinet de mon père. Dites à ma mère, ai-je répondu à Betty, que je demande en grâce de la voir ici un moment ou de pouvoir l’entretenir seule dans le lieu qu’elle voudra choisir. Tandis que cette fille m’obéissait sans répliquer, j’ai prêté l’oreille du haut de l’escalier, et j’ai entendu mon père, qui disait d’un ton fort élevé : vous voyez le fruit de votre indulgence. C’est autant de bontés perdues. Que sert de reprocher de la violence à votre fils, lorsqu’il n’y a rien à se promettre que par cette voie ? Vous ne la verrez pas seule. Ma présence est-elle donc une exception que je doive souffrir ? Représentez-lui, a dit ma mère à Betty, sous quelles conditions il lui est permis de descendre. Je ne la verrai point autrement. Betty est remontée avec cette réponse. J’ai eu recours à ma plume. Mais j’étais si tremblante, qu’à peine avois-je la force de m’en servir ; et quand j’aurais eu la main plus ferme, je n’aurais pas su ce que je devais écrire. Betty, qui m’avait quittée, est revenue dans l’intervalle, pour m’apporter ce billet de mon père. Rebelle et perverse Clary, je vois qu’il n’y a point de condescendance qui soit capable de vous toucher. Votre mère ne vous verra point. Espérez encore moins de me voir ; mais préparez-vous à l’obéissance. Vous connaissez nos volontés ; votre oncle Antonin, votre frère, votre sœur et votre favorite Madame Norton, assisteront à la cérémonie qui sera célébrée à petit bruit dans la chapelle de votre oncle. Lorsque M Solmes pourra vous présenter à nous dans l’état où nous souhaitons de vous voir, peut-être ferons-nous grâce à sa femme ; mais n’en attendez