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particulière, pour vous mettre en état de juger jusqu’où mes amis ont tort ou raison, lorsqu’ils m’attribuent beaucoup de prévention en faveur de l’un et contre l’autre, du côté de la figure. Mais j’observerai d’abord qu’en comparant M Lovelace et M Solmes, ils sont très-bien fondés à s’imaginer que cette considération peut avoir quelque pouvoir sur moi ; et leur imagination se transforme en certitude. Il est certain que la figure a quelque chose, non seulement de plausible et d’attrayant pour une femme, mais de propre même à lui donner une sorte de confiance à son choix. Elle fait, à la première vue, de favorables impressions qu’on souhaite de voir confirmées : et s’il arrive en effet qu’une heureuse expérience les confirme, on s’applaudit de son jugement ; on en aime mieux la personne, pour nous avoir donné lieu de prendre une opinion flatteuse de notre propre pénétration. Cependant j’ai toujours eu pour règle générale, que, dans un homme comme dans une femme, une belle figure doit être suspecte ; mais sur-tout dans les hommes qui doivent estimer beaucoup plus en eux mêmes les qualités de l’ame que celles du corps. à l’égard de notre sexe, si l’opinion publique rend une femme vaine de sa beauté, jusqu’à lui avoir fait négliger des qualités plus importantes et plus durables, on sera disposé à l’excuser, puisqu’une jolie folle n’en est pas moins sûre de plaire, sans qu’on sache trop bien pourquoi. Mais c’est un avantage si court, qu’il ne peut être regardé d’un œil d’envie. Lorsque ce soleil d’été arrive à son déclin, lorsque ces grâces légères, ces voltigemens de papillon s’évanouissent, et que l’hiver de l’ âge amène des glaces et des rides, celle qui a négligé ses plus précieuses facultés, sentira les justes effets de son imprudence. Comme une autre Hélene, elle n’aura pas la force de soutenir la réflexion même

de son miroir ; et ne se trouvant plus que la simple qualité de vieille femme, elle tombera dans le mépris qui est attaché à ce caractère ; tandis que la femme raisonnable, qui porte dans un âge avancé l’aimable caractère de la vertu et de la prudence, voit remplacer une frivole admiration par un respect solide, qui lui fait gagner beaucoup au change. Si c’est un homme qu’on suppose vain de sa figure, qu’on lui trouvera l’air efféminé ! Avec du génie même, il ne donnera jamais rien aux exercices de l’esprit. Son ame sera toujours répandue au dehors ; toutes ses occupations seront bornées à son extérieur, et peut-être à le rendre ridicule en croyant le parer. Il ne fait rien qui n’ait rapport à lui, il n’admire que lui ; et malgré les corrections du théâtre, qui tombent si souvent sur la fatuité, il s’aveugle sur lui-même, et s’abyme dans ce caractère, qui le rend l’objet du mépris d’un sexe, et le jouet de l’autre. Tel est presque toujours le cas de vos belles figures, et de tous ces hommes qui aspirent à se distinguer par l’ajustement : ce qui me fait répéter que la figure seule est une considération tout à fait méprisable. Mais lorsqu’à la figure un homme joint du savoir, et d’autres talens qui lui attireraient de la distinction sous toute autre forme, cette espèce d’avantage est une addition considérable au mérite personnel ; et s’il n’est point altéré par un excès d’amour-propre ou par de mauvaises mœurs, l’homme qui le possède est un être véritablement estimable. On ne peut refuser du goût à M Lovelace. Autant que je suis capable d’en juger, il est versé dans toutes les connaissances qui appartiennent aux beaux arts. Mais quoiqu’il ait une manière, qui lui est propre, de faire