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Oui, ma chère maman, il le faut. Voici, en même tems, de quoi je puis vous assurer : jamais il ne m’échappera rien qui puisse faire déshonneur au soin que vous avez pris de mon éducation. Je souffrirai tout, excepté de me voir forcée à mettre la main dans celle d’un homme qui ne peut jamais avoir aucune part à mon affection. Je m’efforcerai, par mon respect, par mon humilité, par ma patience de fléchir le cœur de mon père. Mais je préférerai la mort, sous toutes sortes de formes, au malheur d’épouser cet homme-là. Je tremble, m’a-t-elle dit, de descendre avec une réponse si décisive. Ils vont s’en prendre à moi. Mais souffrez qu’en vous quittant, j’ajoute une observation, que je vous conjure de ne jamais perdre de vue. " les personnes distinguées par la prudence, et par des talens tels que les vôtres, semblent distribuées dans le monde pour donner, par leurs exemples, du crédit à la religion et à la vertu. Qu’elles sont coupables, lorsqu’elles s’égarent ! Quelle ingratitude pour cet être-suprême qui les a favorisées d’un si précieux bienfait ! Quelle perte pour le monde ! Quelle plaie pour la vertu ! Mais c’est ce que j’espère qu’on ne dira jamais de Miss Clarisse Harlove ". Je n’ai pu lui répondre que par mes larmes ; et lorsqu’elle m’a quittée, j’ai cru que la meilleure partie de mon cœur partait avec elle. Il m’est venu à l’esprit de descendre aussi-tôt, et de prêter l’oreille à la manière dont elle serait reçue. On lui a fait un accueil conforme à ses craintes. Veut-elle ? Ne veut-elle pas ? Point de lamentations vagues, Madame Norton, (vous jugez qui lui a tenu ce discours.) est-elle résolue, ou non, de se soumettre à la volonté de ses parens ? C’était lui fermer la bouche sur tout ce qu’elle allait dire en ma faveur. S’il faut m’expliquer si nettement, a-t-elle répondu, Miss Clarisse mourra plutôt que d’être jamais… à d’autres que Lovelace, a interrompu mon frère. Voilà, madame, voilà, monsieur, ce que c’est que la docilité de votre fille. Voilà le doux enfant de Madame Norton. Oh bien ! Bonne dame, vous pouvez reprendre le chemin de votre demeure : je suis chargé de vous interdire toute correspondance avec cette fille perverse, autant que vous faites cas de l’amitié de toute notre famille et de chacun de ceux qui la composent. Ensuite, personne n’ouvrant la bouche pour le contredire, il l’a menée lui-même à la porte, sans doute avec ce cruel air d’insulte que les riches hautains prenent sur le pauvre qui a le malheur de leur déplaire. Ainsi, chère amie, vous êtes informée de la manière dont on me prive désormais du conseil d’une des plus prudentes et des plus vertueuses femmes du monde, quoique le besoin que j’en ai toujours eu ne puisse qu’augmenter. Je pourrais à la vérité lui écrire et recevoir ses réponses par vos mains : mais s’il arrivait qu’on la soupçonnât de cette correspondance, je sais qu’elle ne voudrait point se rendre coupable d’un mensonge, ni de la moindre équivoque ; et l’aveu qu’elle ferait, après les défenses qu’elle a reçues, lui ferait perdre à jamais la protection de ma mère. C’est un point de quelque importance pour elle ; car, dans ma dernière maladie, j’ai obtenu de ma mère que, si je mourais sans avoir fait quelque chose pour cette excellente femme, elle se chargerait elle-même de lui assurer une honnête subsistance, qui peut lui devenir nécessaire lorsqu’elle ne sera plus en état de s’aider de son aiguille, comme elle fait aujourd’hui avec assez d’avantage.