Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée

bras, pour recevoir la bénédiction de son père et les caresses de tout le monde. Vous nous en serez mille fois plus chère. Madame Norton est revenue à moi, et m’a répété avec larmes tout ce qu’elle venait d’entendre. Mais, après ce qui s’était passé entr’elle et moi, je lui ai dit qu’elle ne pouvait se promettre de me faire entrer dans des mesures qui étoient uniquement celles de mon frère, et pour lesquelles j’avais tant d’aversion. Elle m’a serrée entre ses bras maternels. Je vous quitte, très-chère miss ! M’a-t-elle dit ; je vous quitte, parce que je le dois. Mais permettez que je vous conjure de ne rien faire témérairement, rien qui ne soit convenable à votre caractère. Si tout ce qu’on dit est vrai, M Lovelace n’est pas digne de vous. Si vous avez la force d’obéir, faites attention que le devoir vous y oblige. J’avoue qu’on ne prend pas la meilleure méthode, avec un esprit si généreux ; mais considérez qu’il y a peu de mérite dans l’obéissance, lorsqu’elle n’est pas contraire à nos propres désirs. Faites attention à ce qu’on doit attendre d’un caractère aussi extraordinaire que le vôtre. Faites attention qu’il dépend de vous d’unir ou de diviser à jamais votre famille. Quoiqu’il soit fort chagrinant pour vous d’être ainsi poussée par la force, j’ose dire qu’après avoir considéré sérieusement les choses, votre prudence vous fera vaincre toutes sortes de préjugés. Par-là, vous acquerrez, aux yeux de toute votre famille, un mérite qui vous sera non seulement glorieux, mais qui, vraisemblablement dans l’espace de quelques mois, deviendra pour vous une source pure et constante de repos et de satisfaction. Considérez, chère maman Norton, lui ai-je répondu, que ce n’est pas une démarche légere qu’on exige de moi, ni une démarche de peu de durée. Il est question de ma vie entière. Considérez aussi que cette loi me vient d’un frère impérieux, qui gouverne tout à son gré. Voyez jusqu’où va le désir que j’ai de les satisfaire, lorsque j’offre de renoncer au mariage, et de rompre à jamais toute correspondance avec l’homme qu’ils haïssent, parce que mon frère le hait. Je considère tout, ma très-chère miss, mais, avec ce que j’ai dit, considérez seulement vous-même que, si vous vous trouviez malheureuse après avoir rejeté leurs volontés pour suivre les vôtres, vous seriez privée de la consolation qui fait la ressource d’une fille vertueuse, lorsque, s’étant soumise à la conduite de ses parens, le succès d’un mariage ne répond point à leurs espérances. Il faut que je vous quitte, m’a-t-elle repété. Votre frère va dire, (elle s’est mise à pleurer), que je vous endurcis par mes lamentations insensées. Il est bien dur en effet qu’on ait tant d’égard pour l’humeur d’un enfant, et si peu pour l’inclination de l’autre. Mais je ne vous répète pas moins que c’est votre devoir d’obéir, si vous pouvez vous faire cette violence. Votre père a confirmé par ses ordres le systême de votre frère. C’est à présent le sien. Je m’imagine que le caractère de M Lovelace n’est pas si propre à justifier votre choix que leur dégoût. Il est aisé de voir que l’intention de votre frère est de vous décréditer dans l’esprit de tous vos amis, et particulièrement dans celui de vos oncles ; mais cette raison même devrait vous porter, s’il est possible, à les obliger, pour déconcerter ses mesures peu généreuses. Je prierai le ciel pour vous ; c’est tout ce qui me reste à vous offrir. Il faut que je descende, pour leur déclarer que vous êtes résolue de ne jamais prendre M Solmes : le faut-il ? Pensez-y, miss ; le faut-il ?