Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

responsable de votre conduite à son tribunal, sur des points si délicats et si intéressants. En un mot, tout le monde a les yeux attachés sur vous, et semble vous demander un exemple. Plût au ciel que vous eussiez la liberté de suivre vos principes ! Alors, j’ose le dire, tout prendrait un cours naturel, et n’aurait pas d’autre terme que l’honneur. Mais je redoute vos directeurs et vos directrices. Votre mère, avec des qualités admirables pour conduire, est condamnée à suivre elle-même la conduite d’autrui : votre sœur, votre frère, vous pousseront certainement hors du chemin qui vous est propre.

Mais je touche un article sur lequel vous ne me permettez pas de m’étendre. Pardon, je n’ajoute rien. Cependant, pourquoi vous demander pardon, lorsque vos intérêts sont les miens ? Lorsque j’attache mon honneur au vôtre, lorsque je vous aime, comme une femme n’en aima jamais une autre ; et lorsqu’agréant cet intérêt et cette tendresse, vous m’avez placée, depuis un tems qu’on peut nommer long pour des personnes de notre âge, au premier rang de vos amies.

Anne Howe.

P.S. Vous me feriez plaisir de m’envoyer une copie du préambule de votre grand père, aux articles du testament qu’il a fait en votre faveur, et de permettre que je la communique à ma tante Harman. Elle me prie instamment de lui en procurer la lecture. Cependant elle est si charmée de votre caractère, que, sans vous connaître personnellement, elle approuve les dispositions de votre grand père, avant que de connaître les raisons de cette préférence.


LETTRE II


miss clarisse harlove, à miss howe.


Au château d’Harlove, 13 janvier.


Que vous m’embarrassez, très chère amie, par l’excès de votre amitié ! Je ne saurais douter de votre sincérité, mais prenez garde aussi de me donner lieu, par votre obligeante partialité, de me défier un peu de votre jugement. Vous ne faites pas attention que j’ai pris de vous quantité de choses admirables, et que j’ai l’art de les faire passer à vos yeux pour des biens qui me sont propres, car dans tout ce que vous faites, dans tout ce que vous dites, et jusque dans vos regards, où votre âme est si bien peinte, vous donnez des leçons, sans le savoir, à une personne qui a pour vous autant de tendresse et d’admiration que vous m’en connaissez. Ainsi, ma chère, soyez désormais un peu moins prodigue de louanges, de peur qu’après l’aveu que je viens de faire, on ne vous soupçonne de prendre un plaisir secret à vous louer vous-même, en voulant qu’on ne vous croie occupée que de l’éloge d’autrui.

Il est vrai que la tranquillité de notre famille a souffert beaucoup d’altération, pour ne pas dire que tout y est comme en tumulte, depuis le malheureux évènement auquel l’amitié vous rend si sensible. J’en ai porté tout le blâme. Ceux qui me veulent du mal n’avaient qu’à laisser mon cœur à lui-même. J’aurais été trop touchée de ce fatal accident, si j’avais été épargnée avec justice par tout autre que moi ; car, soit par un coupable sentiment d’impatience, qui peut venir de ce qu’ayant toujours