Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée

res et de grâces que vous sur tous les sujets que vous traitez. Expliquez-nous aussi comment il se fait que Lovelace, qui paraît apporter tant de soin à parer sa figure, quoiqu’elle ait si peu besoin d’ornemens, trouve le moyen de ne passer aux yeux de personne pour un fat. Que ces questions, ma chère, servent à vous amuser ; du moins, si la seconde peut vous être proposée sans vous déplaire. Un seul sujet, de quelque importance qu’il puisse être, ne suffirait pas pour occuper un esprit de l’étendue du vôtre. Mais s’il était vrai, au fond, que l’un et l’autre vous déplût, mettez ma prière au nombre de tant d’impertinences que vous m’avez pardonnées ; et dites, sans crainte : cette fille est folle ; pourvu que vous ajoutiez : je l’aime néanmoins, et c’est ma fidèle.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

lundi, 20 mars. Votre dernière lettre m’a touchée si sensiblement, que j’écarte des soins assez considérables, pour me livrer à l’impatience que j’ai d’y répondre. Je veux m’expliquer nettement, sans détour, en un mot, avec l’ouverture de cœur qui convient à notre amitié mutuelle. Mais souffrez que j’observe d’abord, et que j’observe avec reconnaissance, que si je vous ai donné, dans vingt endroits de mes lettres, des preuves si peu équivoques de mon estime pour M Lovelace, que vous ayez cru devoir m’épargner en faveur de leur clarté, c’est en avoir usé avec une générosité digne de vous. Croyez-vous qu’il y ait au monde un homme si méchant, qu’il ne donne pas d’occasion, à ceux même qui doutent de son caractère, d’être plus satisfaits de lui dans un temps que dans un autre, et lorsqu’il la donne en effet, n’est-il pas juste qu’en parlant de lui, les expressions soient mesurées à sa conduite ? Je crois devoir à un homme qui me rend des soins, autant de justice que s’il ne m’en rendait pas. Il me semble qu’il y a si peu de générosité, un air si tyrannique, à prendre droit de son respect pour le maltraiter, du moins lorsqu’il n’en donne pas d’autre sujet, que je ne voudrais pas être celle qui se permet cette sorte de rigueur. Mais, quoique je ne pense qu’à me contenir dans les bornes de la justice, il est peut-être difficile d’empêcher que ceux qui connaissent les vues de cet homme, ne me trouvent un air de partialité en sa faveur, sur-tout, si c’est une femme qui fait cette observation, et qu’ayant été autrefois prise elle-même, elle veuille se faire un triomphe de voir son amie aussi foible qu’elle. Les ames nobles, qui aspirent à la même perfection (et je ne regarde pas l’amour comme une imperfection non plus, lorsque l’objet en est digne), méritent, à mon avis, qu’on leur passe un peu de cette généreuse espèce d’envie. Si l’esprit de vengeance a quelque part à cette réflexion, c’est une vengeance, ma chère, qu’il faut entendre dans le sens le plus doux que ce mot puisse recevoir. J’aime votre badinage, comme je vous l’ai dit plusieurs fois. Quoique, dans l’occasion, il puisse causer un peu de peine à une ame ingénue, qui vient ensuite à sentir qu’il entre moins de fiel que d’amitié dans le reproche, et tourne tous ses sentimens à la reconnaissance.