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Clarisse, m’a-t-il dit, en se saisissant de ma main, et la portant fort ardemment à ses lèvres, si la cession de votre terre peut finir vos peines, ne tardez point à la résigner, et soyez à moi. Je confirmerai de toute mon ame votre résignation. Cette idée, ma chère, n’est pas sans générosité. Mais lorsqu’il n’est question que de belles paroles, de quoi les hommes ne sont-ils pas capables pour obtenir la confiance d’une femme ? J’avais fait quantité d’efforts pour reprendre le chemin du château ; et la nuit étant fort proche, mes craintes ne faisaient qu’augmenter. Je ne saurais dire qu’elles vinssent de sa conduite ; au contraire, il m’a donné meilleure opinion que je n’avais de lui, par le respect dont il ne s’est pas écarté un moment pendant cette conférence. S’il s’est emporté avec violence, sur la seule supposition que Solmes pût être préféré, cette chaleur est excusable dans un homme qui se prétend fort amoureux ; quoiqu’elle ait été assez peu mesurée pour m’obliger de m’en ressentir. En partant, il s’est recommandé à ma faveur avec les plus pressantes instances, mais avec autant de soumission que d’ardeur, sans parler d’autres grâces, quoiqu’il m’ait laissé entrevoir ses désirs pour une autre entrevue, à laquelle je lui ai défendu de penser jamais dans le même lieu. Je vous avouerai, ma chère, à vous, pour qui je me reprocherais d’avoir la moindre réserve, que ses argumens, tirés de mes disgrâces présentes par rapport à l’avenir, commencent à me faire craindre de me trouver dans la nécessité d’être à l’un ou à l’autre de ces deux hommes ; et si cette alternative était inévitable, je m’imagine que vous ne me blâmeriez pas de vous dire lequel des deux doit être préféré ; vous m’avez dit vous-même quel est celui qui ne doit pas l’être. Mais en vérité, ma chère, ma véritable préférence est pour l’état de fille ; et je n’ai pas encore perdu toute l’espérance d’obtenir l’heureuse liberté de faire ce choix. Je suis revenue à ma chambre, sans avoir été observée. Cependant la crainte de l’être m’a causé tant d’agitation, que je m’en sentais beaucoup plus en commençant ma lettre, qu’il ne m’a donné sujet d’en avoir, à l’exception néanmoins du premier moment où je l’ai aperçu ; car mes esprits ont été prêts alors à m’abandonner ; et c’est un bonheur extrême que, dans un lieu tel que celui où il m’a surprise, dans le mouvement d’une si vive frayeur, et seule avec lui, je ne sois pas tombée sans connaissance. Je ne dois pas oublier que, lui ayant fait un reproche de la conduite qu’il a tenue dimanche dernier à l’église, il m’a protesté qu’on ne m’avait pas représenté fidèlement cette scène ; qu’il ne s’était pas attendu à m’y voir ; mais qu’il avait espéré que, trouvant l’occasion de parler civilement à mon père, il obtiendrait la permission de l’accompagner jusqu’au château ; que le docteur Lewin lui avait persuadé de ne se présenter, dans cette occasion, à personne de la famille, en lui faisant observer le trouble où sa présence avait jeté tout le monde. Son intention, m’a-t-il assuré, n’était pas d’y porter de l’orgueil ou de la hauteur ; et si quelqu’un lui en attribue, ce ne peut-être, dit-il, que par un effet de cette mauvaise volonté qu’il a le chagrin de trouver invincible ; et lorsqu’il salua ma mère, c’était une civilité qu’il prétendait faire à toutes les personnes qui étoient dans le banc, comme à elle, qu’il fait profession de respecter sincèrement. Si l’on peut s’en fier à lui (et, dans le fond, j’ai peine à me persuader