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me rappeler ces idées ; parce que, tout autorisé qu’il étoit, par les traitemens qu’il recevait de ma famille, à ne pas beaucoup la ménager, il savait que les moindres libertés de cette nature n’étoient propres qu’à me déplaire. D’un autre côté, néanmoins, il était obligé d’avouer qu’étant jeune, avec des passions assez vives, et s’étant toujours piqué de dire librement ce qu’il pensait, il n’avait pas peu de peine à se faire une violence qu’il reconnaissait juste. Mais sa considération pour moi lui faisait réduire ses observations à des faits clairs et avoués, et je ne pouvais m’offenser qu’il tirât, du moins, une conséquence qui suivait naturellement de ce qu’il avait dit ; c’était que mon père, exerçant ses droits avec tant de hauteur sur une femme qui ne lui avait jamais rien disputé, il n’y avait aucune apparence qu’il se relâchât, pour une fille, d’une autorité dont il était encore plus jaloux, et dont l’idée se trouvait fortifiée par des intérêts de famille, par une aversion très-vive, quoique injustement conçue, et par les ressentimens de mon frère et de ma sœur ; sur-tout lorsque mon bannissement m’ ôtoit le moyen de plaider ma cause, et de faire valoir la justice et la vérité pour ma défense. Quel malheur, ma chère, qu’il y ait tant de vérité dans ces observations, et dans la conséquence ! Il l’a tirée, d’ailleurs, avec plus de sang-froid et de ménagement pour ma famille, que je craignais de n’en pouvoir attendre d’un homme si injurié, à qui tout le monde attribue des passions indomptables. Ne me presserez-vous point sur les battemens de cœur, et sur la chaleur qui m’a pu monter au visage, si de tels exemples de l’ascendant qu’il est capable de prendre sur mon naturel, me disposent à conclure qu’en supposant quelque possibilité de réconciliation entre ma famille et lui, il n’y aurait point à désespérer qu’il ne pût être ramené au bien par les voies de la douceur et de la raison ? Il m’a représenté que la violence qu’on fait à ma liberté, est connue de tout le monde ; que mon frère et ma sœur ne font pas scrupule de parler de moi comme d’un enfant comblé de faveurs, qui est dans un état actuel de rebellion ; que tous ceux, néanmoins, qui me connaissent ne balancent point à justifier mon aversion pour un homme qui leur paraît convenir mieux à ma sœur qu’à moi ; que, tout malheureux qu’il est de n’avoir pu faire plus d’impression sur mon cœur, tout le monde me donne à lui ; que sa naissance, sa fortune et ses espérances ne pouvant être attaquées, ses ennemis même ne faisaient qu’une objection contre lui ; et que, grâces au ciel et à mon exemple, il se promettait de la détruire pour jamais, puisqu’il avait commencé à reconnaître ses erreurs et à s’en lasser de bonne foi, quoiqu’elles fussent beaucoup moins énormes que la malignité et l’envie ne les représentaient ; mais que c’était un article sur lequel il s’arrêtait d’autant moins, qu’il valait mieux faire parler ses actions que ses promesses. Ensuite, prenant cette occasion pour me faire un compliment, il m’a protesté qu’ayant toujours aimé la vertu, quoiqu’il n’en ait pas fidèlement observé les règles, les qualités de mon ame formaient sa plus forte chaîne ; et qu’il pouvait dire, avec vérité, qu’avant que de m’avoir connue, il n’avait jamais rien trouvé qui eût été capable de lui faire surmonter une malheureuse espèce de préjugé qu’il avait contre le mariage ; ce qui l’avait endurci jusqu’alors contre les désirs et les instances de tous ses proches. Vous voyez, ma chère, qu’il ne fait pas de difficulté de parler de lui-