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les condamnait pas moins que moi, quelque favorables qu’elles pussent être pour lui. Mais, puisqu’on ne me permettait point de choisir le célibat, il me laissait à considérer si j’avais plus d’une voie pour éviter la violence qu’on voulait faire à mes inclinations. N’avais-je pas un père jaloux de son autorité, des oncles qui pensaient comme lui ? Le retour de M Morden était encore éloigné ; mon oncle et ma tante Hervey avoient peu de poids dans la famille ; mon frère et ma sœur ne cessaient pas d’attiser le feu ; les offres continuelles de Solmes, étoient un autre aiguillon ; la mère de Miss Howe se rangeait de leur parti plutôt que du mien par le seul motif de donner un exemple à sa fille. Ensuite il m’a demandé si je consentirais à recevoir, là-dessus, une lettre de sa tante Lawrance ; car sa tante Sadleir, m’a-t-il dit, ayant perdu depuis peu sa fille unique, se mêle peu des affaires du monde, ou n’y pense que pour souhaiter de le voir marié, et avec moi plutôt qu’avec aucune autre femme. Véritablement, ma chère, il y a bien des choses raisonnables dans tout ce qu’il m’a dit. Je crois pouvoir faire cette remarque, sans qu’il soit question de battemens de cœur. Cependant je lui ai répondu que, malgré la considération extrême que j’ai pour les dames de sa famille, particulièrement pour ses deux tantes, je n’étais pas disposée à recevoir des lettres qui eussent rapport à une fin que je n’avais aucune intention de favoriser ; que, dans la triste situation où je me trouvais, le devoir m’obligeait de tout espérer, de tout souffrir et de tout tenter : que mon père, me voyant ferme, et résolue de mourir plutôt que d’épouser Solmes, se relâcherait peut-être… il m’a interrompue ; pour me représenter que ce changement est peu vraisemblable, après diverses démarches de ma famille, qu’il a pris soin de me remettre sous les yeux ; telles que la précaution qu’ils ont eue d’engager Madame Howe dans leurs intérêts comme une personne qui pouvait m’accorder un asile, si j’étais poussée au désespoir ; l’empressement de mon frère à souffler continuellement aux oreilles de mon père que, si l’on attend le retour de M Morden, à qui je pourrai demander l’exécution du testament, il sera trop tard pour me retenir dans la dépendance, le parti qu’ils ont pris de me renfermer ; celui de m’ ôter ma servante, et de mettre auprès de moi celle de ma sœur ; l’adresse avec laquelle ils ont fait renoncer ma mère à son propre jugement, pour entrer dans toutes leurs vues ; autant de preuves, m’a-t-il dit, que rien n’est capable d’altérer leurs résolutions, autant de sujets d’une mortelle inquiétude pour lui. Il m’a demandé si j’avais jamais vu abandonner à mon père un parti auquel il se fût une fois attaché, sur-tout, lorsqu’il y croyait son autorité ou ses droits intéressés. La familiarité, dit-il, dans laquelle il a vécu quelque temps avec ma famille, l’a rendu témoin de plusieurs traits d’empire arbitraire, dont on trouverait peu d’exemples dans les maisons même des princes, et ma mère, la plus excellente de toutes les femmes, en a fait une triste expérience. Il allait se livrer, je m’imagine, à d’autres réflexions de cette nature ; mais je lui ai témoigné que je m’en tenais offensée, et que je ne permettrais jamais qu’il les fît tomber sur mon père. J’ai ajouté que les rigueurs les moins méritées ne pouvaient me dispenser de ce que je dois à l’autorité paternelle. Je ne devais pas le soupçonner, m’a-t-il répondu, de prendre plaisir à