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me doivent, ne fussent comme les instrumens qu’on emploierait en faveur d’un homme suscité, en partie, pour se venger sur moi de la distinction avec laquelle j’ai été traitée par mon grand-père, en partie, pour se venger sur lui de la vie qu’il avait accordée à une personne qui aurait pris infailliblement la sienne, et qui cherchait présentement à lui ôter des espérances qui lui étoient beaucoup plus chères que sa vie. Je lui ai répondu qu’il pouvait s’assurer que la rigueur qu’on employait avec moi ne produirait rien moins que l’effet qu’on s’en était promis ; que, malgré la sincérité avec laquelle je pouvais dire que mon inclination avait toujours été pour le célibat, et lui déclarer particulièrement que, si mes parens me dispensaient d’épouser l’homme qui me déplaisait, ce ne serait pas pour en prendre un qui leur déplût… il m’a interrompue ici, en me demandant pardon de sa hardiesse, mais pour me dire qu’il ne pouvait retenir les marques de son désespoir, lorsqu’après tant de preuves de sa respectueuse passion, il m’entendoit… j’ai droit, monsieur, lui ai-je dit, de vous interrompre à mon tour. Pourquoi ne faites-vous pas valoir encore plus clairement l’obligation que cette passion si vantée m’impose ? Pourquoi ne me déclarez-vous pas, en termes plus ouverts, qu’une persévérance que je n’ai pas désirée, et qui me met aux mains avec toute ma famille, est un mérite qui me rend coupable d’ingratitude, lorsque je n’y réponds pas comme vous semblez le désirer ? Je devais pardonner, a-t-il repris, si lui, qui ne prétendait qu’à un mérite de comparaison, parce qu’il était persuadé qu’il n’y avait point d’homme au monde qui fût digne de moi, il avait eu la présomption d’espérer un peu plus de part à ma faveur qu’il n’en avait obtenu, lorsqu’on lui avait donné pour concurrens des Symes

et des Wyerleys , et en dernier lieu, un reptile aussi méprisable que ce Solmes. à l’égard de sa persévérance, il reconnaissait que ce n’était pas un sentiment libre ; mais je devais convenir aussi que, quand il n’aurait jamais eu d’amour pour moi, les offres de Solmes étoient telles, que je me serais trouvée engagée dans les mêmes difficultés de la part de ma famille : il prenait par conséquent la liberté de me dire que, loin de les augmenter, en marquant un peu de bonté pour lui, c’était le moyen le plus propre à me les faire surmonter. Mes parens avoient conduit les choses au point qu’il m’était impossible de les obliger sans faire le sacrifice de moi-même à Solmes. Ils connaissaient d’ailleurs la différence qu’ils devaient mettre entre Solmes et lui ; l’un, ils se flattaient de le conduire à leur gré ; l’autre était capable de me défendre contre toutes sortes d’insultes, et comptait, entre ses espérances naturelles, celle d’un titre fort supérieur aux folles vues de mon frère. Comment cet homme-là, ma chère, est-il si bien instruit de toutes nos misères domestiques ? Mais je suis bien surprise qu’il ait pu connaître le lieu où il m’a trouvée, et le moyen de m’y rencontrer. Mon inquiétude me faisait trouver les momens fort longs, d’autant plus que la nuit s’approchoit. Cependant il n’a pas été possible de me délivrer de lui, sans en avoir entendu bien davantage. Comme il espérait de se voir quelque jour le plus heureux de tous les hommes, il m’assurait qu’il avait tant d’égard pour ma réputation, que, loin de me proposer des démarches qui pussent m’être reprochées, il ne