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nôtre ? Non, rien du tout, ce me semble. Cela est fort beau, en vérité. J’aurais pensé pourtant qu’avec un enfant respectueux, comme nous vous l’avons toujours crue, ce devait être assez. Le fond que nous avons fait sur votre obéissance nous a fait aller en avant. Il n’y a plus de remède à présent ; car nous ne voulons pas qu’on se moque de nous, ni de notre ami M Solmes. C’est tout ce que j’ai à vous dire. Si votre bien lui est convenable, où est donc la merveille ? Cela prouve-t-il, ma nièce, le bel esprit, qu’il n’ait point d’amour pour vous ? Il faut bien qu’il trouve quelque chose d’agréable avec vous , puisqu’il n’a rien d’agréable à se promettre de vous . Remarquez bien cela. Mais, dites-moi un peu, ce bien n’est-il pas à nous, en quelque sorte ? N’y avons-nous pas notre intérêt, et un droit qui a précédé le vôtre, si l’on avait égard au droit ? D’où vous vient-il, si ce n’est du radotage d’un bon vieillard, (Dieu veuille avoir son ame) ! Qui vous l’a donné par préférence à tous autant que nous sommes ? Par conséquent, ne devons-nous pas avoir droit de choisir qui aura ce bien en mariage avec vous. Et pouvez-vous souhaiter en conscience que nous le laissions emporter à un drôle qui nous hait tous ? Vous me recommandez de bien peser ce que vous m’avez écrit. Pesez bien cela vous-même, petite fille ; et vous trouverez que nous avons plus à dire pour nous, que vous ne vous en doutez. à l’égard de la dureté, comme vous dites, avec laquelle on vous traite, prenez-vous-en à vous-même… il dépend de vous de la faire finir. Ainsi, je regarde cela comme rien. On ne vous a bannie et confinée qu’après avoir tenté avec vous les prières et les bons discours… remarquez bien cela. Et M Solmes ne peut que faire à votre obstination. Remarquez cela aussi. Pour la liberté de faire des visites et d’en recevoir, c’est une chose dont vous ne vous êtes jamais beaucoup souciée. Ainsi, c’est une peine qu’on n’a jointe aux autres que pour faire un poids dans la balance. Si vous parlez du désagrément, c’en est un pour nous comme pour vous. Une jeune créature si aimable ! Une fille, une nièce dont nous faisons notre gloire ! D’ailleurs, cet article dépend de vous comme le reste. Mais votre cœur se refuse, dites-vous, lorsque vous voudriez vous persuader à vous-même d’obéir à vos parens : n’est-ce pas une belle description que vous faites-là ? Et malheureusement elle n’est que trop vraie dans la partie qui vous regarde. Mais moi, je suis sûr que vous pourriez aimer M Solmes, si vous le vouliez. Il m’est venu à l’esprit de vous commander de le haïr, peut-être qu’alors vous l’aimeriez ; car j’ai toujours remarqué dans votre sexe une horrible perversité romanesque. Faire et aimer ce que vous ne devriez pas, c’est boire et manger pour vous autres femmes. Je suis absolument de l’avis de votre frère, que si la lecture et l’écriture vont assez à l’esprit des jeunes filles, ce sont des choses trop fortes pour leur jugement. Vous dites qu’on pourra vous accuser d’être vaine, d’être présomptueuse : c’est la vérité, ma nièce. Il y a de la présomption et de la vanité à mépriser un honnête homme, qui sait lire et écrire aussi bien que la plupart des honnêtes gens ; c’est moi qui vous le dis. Et où avez-vous pris, s’il vous plaît, que M Solmes ne sait ni lire ni écrire ? Mais il vous faut un mari qui puisse vous apprendre quelque chose ! Ce qui serait à souhaiter, c’est que vous connussiez aussi bien votre devoir que vos talens. Voilà, ma nièce, ce qu’il vous faut apprendre ; et M Solmes