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souffrirais volontiers, s’il n’y avait pas d’autre moyen, qu’on m’enterrât toute vive. Ils sont tous en consultation. Je suppose qu’il est question de mes lettres. Ils s’étoient assemblés dès le matin, et c’est à cette occasion que mes oncles se sont trouvés à l’église. Je vous enverrai les copies de ces deux lettres, lorsque j’aurai vu si je puis vous envoyer en même tems celles des réponses. Celle-ci n’est que… quoi dirai-je ? Elle n’est que l’effet de mes craintes et de mon ressentiment contre l’homme à qui je dois les attribuer. Six lignes auraient contenu tout ce qu’elles ont de commun avec mon histoire.



M Lovelace à M Belford.

lundi 13 mars. C’est en vain que tu me presses, toi et tes camarades, de retourner à la ville aussi long-temps que cette fière beauté me tiendra dans l’incertitude. Si j’ai gagné jusqu’à présent un peu de terrein, je n’en ai l’obligation qu’à son inquiétude pour la sûreté de ceux que j’ai mille raisons de haïr. écris donc, me dis-tu, si tu ne veux pas venir. à la vérité, je puis écrire, et je le puis sans m’embarrasser si j’ai de la matière ou non pour mes lettres. Ce que tu vas lire en sera la preuve. Le frère de ma déesse m’a suscité, comme je te l’ai raconté au château de M, un nouveau concurrent, le moins dangereux homme du monde par la figure et les qualités, mais le plus redoutable par ses offres. Cet homme a captivé, par ses propositions, les ames de tous les Harloves. Les ames ! Ai-je dit. Toute cette famille est sans ame, à l’exception de celle qui m’a charmé. Mais cette ame incomparable est actuellement renfermée et maltraitée par un père, le plus sombre et le plus absolu de tous les hommes, à l’instigation d’un frère le plus arrogant et le plus présomptueux. Tu connais leur caractère ; ainsi je n’en souillerai pas mon papier. Mais connais-tu rien de si détestable que d’être amoureux de la fille, de la sœur et de la nièce d’une famille que je dois éternellement mépriser ? Et, ce qui me fait donner au diable, de sentir croître ma passion, je ne dirai pas par le mépris, par l’orgueil, par l’insolence d’une beauté adorée, mais par des difficultés qui ne paroissent venir que de sa vertu. Je suis puni de n’être pas un adroit pécheur, un hypocrite, de n’avoir aucun égard pour ma réputation, de permettre à la médisance d’ouvrir la bouche contre moi. Mais l’hypocrisie m’est elle donc nécessaire, à moi qui suis en possession de tout emporter au moment que je parais, et aux conditions qu’il me plaît d’imposer ; à moi qui n’ai jamais inspiré de crainte, sans un mêlange sensible d’amour prédominant ? Le poëte a dit " que la vertu n’est qu’un rôle de théatre, et que celui qui paroît vertueux montre moins son naturel que son art ". Fort bien ; mais il me semble que je suis forcé à la pratique de cet art, si