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Avec tant d’autres avantages, sur-tout du côté de la personne et de la figure ; du savoir même, comme on assure qu’il en a, être orgueilleux et hautain ! Tandis qu’il est condamné et démenti par les traits de son visage : que je le trouve inexcusable ! Orgueilleux de quoi ? Ce n’est pas de bien faire ; seul orgueil qu’on pourrait peut-être justifier. Orgueilleux des avantages extérieurs ? Mais cette foiblesse, dans ceux ou celles qui en sont capables, ne doit-elle pas les conduire bientôt à se défier de l’intérieur ? Quelques gens pourraient craindre qu’on ne marchât sur eux, s’ils ne prenaient un air de fierté : crainte, après tout, bien humiliante, puisqu’elle suppose, si l’on peut parler ainsi qu’ils y marchent eux-mêmes. Mais un homme tel que lui doit être sûr que l’humilité ne lui servirait que d’ornement. On ne peut lui refuser beaucoup de talens ; mais ces talens, et tous ses avantages personnels, ont été pour lui comme autant de pièges. Je ne me trompe point dans ce jugement, d’où il faut conclure que le mal et le bien, pesés dans une balance égale, ce ne serait pas le bien qui l’emporteroit. Si mes amis avoient conservé un peu de confiance pour cette discrétion dont ils ne m’accusent pas de manquer, j’ose dire que j’aurais pénétré tous ses défauts. Alors j’aurais été aussi ferme à le congédier que je l’ai été à rejeter tous les autres, et que je le serai éternellement à refuser M Solmes. Que ne connaissent-ils le fond de mon cœur ? Il étoufferait, plutôt que de former jamais volontairement un désir qui puisse jeter la moindre tache sur eux, sur mon sexe, ou sur moi-même. Je vous demande grâce, ma chère, pour mes graves soliloques ; c’est le nom que je puis lui donner. Comment me suis-je laissé entraîner de réflexions en réflexions ! Mais l’occasion en est présente. Tout est ici en mouvement sur le même sujet. Chorey dit qu’il a cherché les yeux de ma mère, qu’il lui a fait une profonde révérence, et qu’elle lui a rendu sa politesse. Il a toujours admiré ma mère : je crois qu’elle n’aurait pas eu d’aversion pour lui, si on ne lui avait ordonné d’en avoir ; et sans cette malheureuse rencontre entre lui et son fils unique. Le docteur Lewin était à l’église. Ayant observé, comme tout le monde, l’embarras que la vue de M Lovelace causait à toute notre famille, il a eu l’attention de l’engager après le service dans un entretien assez long, pour laisser le temps à tous mes proches de remonter en carrosse. Il paraît que mon père s’anime de plus en plus contre moi. On me dit la même chose de mes oncles ; ils ont reçu mes lettres ce matin. Leur réponse, s’ils daignent m’en faire quelqu’une, me confirmera sans doute l’imprudence que ce téméraire a eue de se présenter si mal-à-propos à l’église. On les croit fâchés contre ma mère, pour le retour de politesse dont elle n’a pu se dispenser. Ainsi la haine s’attaque jusqu’aux devoirs communs de la civilité, quoiqu’ils doivent être considérés du côté de celui qui les rend, plutôt que de celle qui les reçoit. Mais ils concluent tous, m’assure-t-on, qu’il ne leur reste qu’un seul moyen pour mettre fin aux insultes. C’est donc sur moi que la peine va retomber. Qu’aura gagné cet imprudent, et quel avantage en tirera-t-il pour ses vues ? Ma plus grande crainte est que cette apparition, pire que celle de quelque fantôme, n’annonce des entreprises encore plus hardies. S’il a l’audace de se présenter ici, comme il me presse instamment de le permettre, je tremble qu’il n’y ait du sang répandu. Pour éviter ce malheur, je