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merveilleux catalogue ! Quelle effusion d’un cœur qui se pâme d’amour ! Et vous embrasseriez le parti du célibat ? Oui, j’en réponds, tandis que toutes ces perfections imaginaires éblouissent vos yeux ! Mais finissons : je voudrais seulement que, dans l’opinion que vous semblez avoir de votre bel esprit, vous ne prissiez pas tous les autres pour des insensés que vous croyez pouvoir mener en bride avec votre ton plaintif. Vous écrirez aussi souvent qu’il vous plaira ; mais cette réponse sera la dernière que vous recevrez, sur le même sujet, d’Arabelle Harlove. J’avais deux lettres prêtes pour chacun de mes oncles, que j’ai données à un domestique qui s’est présenté dans le jardin, en le priant de les remettre à leur adresse. Si je dois juger des réponses par celles que j’ai reçues de mon frère et de ma sœur, je n’ai rien d’agréable à me promettre. Mais lorsque j’aurai tenté tous les expédiens, j’aurai moins de reproches à me faire s’il arrive quelque chose de fâcheux. Je vous enverrai une copie de ces deux lettres, aussi-tôt que je saurai comment elles ont été reçues, si l’on me fait la grâce de m’en informer.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche au soir, 12 mars. Cet homme, ce Lovelace, me jette dans une furieuse inquiétude. Sa hardiesse et sa témérité vont à l’excès. Il était aujourd’hui à l’église, dans l’espérance apparemment de m’y voir : cependant, si c’était son motif, ses intelligences ordinaires doivent l’avoir trompé. Chorey, qui était à l’église, m’a dit qu’elle avait observé particulièrement son air fier et hautain, lorsqu’il s’est tourné du banc où il était assis, vers le banc de notre famille. Mon père et mes deux oncles s’y trouvoient. Ma mère et ma sœur y étoient aussi. Heureusement mon frère n’y était pas. Ils sont tous revenus en désordre. Comme c’est la première fois qu’il se soit fait voir ici depuis la malheureuse rencontre, toute l’assemblée n’a eu des yeux que pour lui. Quelles peuvent avoir été ses vues, s’il s’était proposé de prendre un air de bravade et de défi, comme Chorey et d’autres croient l’avoir remarqué ? Est-il venu pour me voir ? Mais, en tenant cette conduite à l’égard de ma famille, a-t-il cru me rendre service ou me plaire ? Il sait combien il en est haï ; et il ne daigne pas prendre la peine, quoique apparemment fort inutile, d’adoucir du moins leur haine. Souvenez-vous, ma chère, qu’entre vous et moi, nous avons souvent observé son orgueil. Vous l’en avez même raillé ; et loin de disculper là-dessus, il a passé condamnation. En l’avouant, il croit avoir fait assez. Pour moi, j’ai toujours pensé que, dans sa situation, l’orgueil est un assez mauvais sujet de plaisanterie. C’est un vice si petit, si inutile, dans les gens d’une haute naissance ! S’ils méritent du respect, ne sont-ils pas sûrs d’en obtenir, sans qu’il soit nécessaire de l’exiger ? En d’autres termes, vouloir s’attirer du respect par des manières hautaines, c’est faire voir qu’on se défie de son propre mérite ; c’est avouer qu’on ne s’en juge pas digne par ses actions. La distinction, ou la qualité, peut-être un sujet d’orgueil pour ceux en qui c’est une acquisition nouvelle. Alors les réflexions et le mépris qu’il attire sur eux en deviennent le contrepoids.