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belles qualités, en accordant tout à des esprits hautains et présomptueux (bornez cette réflexion à votre frère, si vous avez peine à l’étendre plus loin) ; et cela, dans quelle vue ? Pour se procurer une tranquillité passagère, qui méritait d’autant moins d’être considérée, que les efforts qu’elle a faits pour y parvenir, n’ont servi qu’à fortifier l’ascendant des autres, à proportion qu’ils ont affoibli le sien, et l’ont rendu enfin esclave d’un empire arbitraire, qui est fondé sur sa patience. Et quel en est le fruit ? De se voir forcée aujourd’hui, contre son propre jugement, d’abandonner le plus digne de ses enfans, et de le sacrifier à l’amour-propre et à l’ambition du plus indigne. Mais je me hâte de passer à d’autres sujets. Me pardonnerez-vous d’en avoir tant dit ? J’ajouterai néanmoins que ce n’est pas la moitié de ce que j’ai dans le cœur.

On attend ce soir de Londres M Hickman. Je l’ai prié de s’y informer, un peu soigneusement, de la vie que Lovelace mène à la ville.

S’il ne l’a pas fait, il n’aura pas lieu d’être content de mon humeur. Cependant ne vous attendez pas à des récits fort avantageux. Lovelace est une créature intrigante et remplie d’inventions.

En vérité, nous devrions mépriser souverainement ces messieurs-là. Que ne laissent-ils en repos nos pères et nos mères, au lieu de les venir tourmenter par leurs offres dorées, par leurs protestations, par leurs belles peintures d’établissement, et par toutes leurs ostentations ridicules, qui ne tournent qu’à notre propre tourment ? Vous et moi, ne pourrions-nous pas mener ensemble la plus charmante vie du monde, et ne les voir tous qu’avec mépris ? Pourquoi prêter l’oreille à leurs flatteries, et nous laisser prendre au piège, comme les plus sots de tous les oiseaux, pour tomber dans un état d’esclavage ou de vile subordination ? Le bel avantage, d’être traitées en princesses pendant quelques semaines, pour l’être en esclaves pendant tout le reste de notre vie ! De bonne foi, ma chère, je les regarde tous comme vous regardez Solmes ; je ne puis les souffrir. Mais vos parens (car je ne veux plus leur donner le nom de vos amis, dont ils sont indignes), vos parens, dis-je, qui sont capables de vous vendre au prix qui leur est offert par un misérable, et qu’il ne peut leur compter qu’en dépouillant tous les siens de leurs reversions naturelles, faut-il beaucoup de justice et de raison pour les trouver aussi méprisables que lui ? M Hickman sondera milord M sur l’article que vous me recommandez. Je pourrais vous dire d’avance ce que milord répondra, lui et les siens, lorsqu’on les fera tomber sur cette matière. Qui ne se ferait pas honneur d’une alliance avec Miss Clarisse Harlove ? Madame Fortescue m’a dit qu’ils ne parlent de vous qu’avec admiration. Si vous n’avez pas trouvé assez de clarté dans mes avis sur votre situation, je les répète en un seul mot. Reprenez vos droits. Tout le reste suivra naturellement.

On nous a dit ici que Madame Norton, comme votre tante Hervey, s’était déclarée pour le parti de l’obéissance aveugle. Si elle a pu penser que la part qu’elle a eue à votre éducation, et vos admirables qualités naturelles et acquises, doivent être prostituées à un misérable tel que Solmes, je la déteste pour toute ma vie. Il peut vous venir à l’esprit que je cherche à diminuer un peu la considération que vous avez pour cette vertueuse femme. Peut-être ne vous tromperiez-vous pas tout-à-fait ; car, pour vous avouer la vérité, je ne l’aime pas tant que je l’aimerais,