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j’ai mille choses à objecter, sur-tout à des lettres qui ne respirent qu’une ardente passion, accompagnée d’un air d’espérance. Car, ma chère, vous n’avez jamais connu d’homme si hardi dans ses suppositions. Il ressemble aux commentateurs, qui trouvent, dans leur original, des beautés auxquelles l’auteur n’a peut-être pas songé. De même, il me remercie souvent dans les termes les plus vifs, de diverses faveurs, et d’une considération que je n’ai jamais pensé à lui accorder ; de sorte que je suis quelquefois obligée de donner leur véritable explication à de prétendues bontés, que je n’aurais pu lui marquer sans m’avilir à mes propres yeux.

En un mot, ma chère, c’est un cheval rétif, qui fatigue la main, qui disloque le bras pour le tenir en bride ; et lorsque vous verrez ses lettres, il ne faut pas croire que vous en puissiez porter de jugement sans avoir lu mes réponses. Si vous n’observez pas cette précaution, vous aurez souvent l’occasion de reprocher à votre amie des illusions d’amour propre et des battemens de cœur. Cependant, cet animal contradictoire se plaint, dans d’autres tems, que je marque aussi peu de bonté pour lui, et que mes amis lui portent autant de haine, que s’il avait été l’agresseur, ou que si la catastrophe avait été aussi fatale qu’on pouvait le craindre.

Que direz-vous d’un homme qui semble affecter successivement de se plaindre de ma froideur, et de se réjouir de mes faveurs imaginaires ? Si le but de cette conduite étoit, tantôt de me faire acquiescer à ses remerciemens, tantôt de m’inspirer plus de sensibilité pour ses plaintes, et si cette contradiction n’est pas l’effet de sa légèreté et de son étourderie, je le regarderai comme un des plus profonds et des plus artificieux mortels qu’on ait jamais connus, exercé peut-être au même degré dans ses dangereuses pratiques ; et si jamais j’en étois sûre, je le haïrois, s’il est possible, encore plus que je ne hais Solmes.

Mais c’est assez parler aujourd’hui de cet être inexplicable.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

Jeudi au soir 9 mars.

Je ne puis penser, sans impatience, à aucun des visages avec lesquels vous êtes condamnée à vivre. Je ne sais quel conseil vous donner. Êtes-vous sûre que vous ne méritez pas d’être punie pour avoir empêché, quoiqu’à votre grand malheur, l’exécution du testament de votre grand-père ; les testamens sont des choses sacrées, mon enfant. Vous voyez que vos gens le pensent eux-mêmes, eux qui se croient blessés par la distinction avec laquelle vous êtes traitée dans un testament.

Je vous passe tous les nobles raisonnemens qui ont servi alors à vous déterminer. Mais, puisqu’un si charmant et si généreux exemple du respect filial est si mal récompensé, pourquoi ne reprendriez-vous pas vos droits.

Votre grand-père connaissait le vice de sa famille. Il savait aussi quelle est la noblesse de vos inclinations. Peut-être lui-même (pardon, ma chère,) a-t-il fait trop peu de bien pendant sa vie, et c’est par ce motif qu’il a mis entre vos mains de quoi réparer sa faute et celle de tous ses enfans. à votre place, je reprendrais ce qu’il vous a laissé. Je vous jure que je n’y manquerais pas. Vous me direz que vous ne le pouvez tandis que vous êtes avec eux ?