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main, et je n’ai pas été fâchée d’apprendre que vous avez été beaucoup plus libérale.

Je suis fort embarrassée sur ce qui concerne votre réponse à cet homme violent. Que pensez-vous de lui voir prendre un empire de cette nature sur une famille telle que la nôtre ? Pour moi, je n’ai fait connaître à personne que je fusse informée de votre correspondance. Par votre dernière hardiesse (c’en est une bien étonnante, Clary ! D’avoir osé continuer devant M Solmes un sujet que j’avais été forcée d’interrompre), vous m’avez fait craindre que pour votre défense vous ne fussiez capable d’alléguer que j’ai autorisé vos correspondances secrètes, et d’augmenter par conséquent la désunion que vous mettez entre votre père et moi. Vous étiez autrefois toute ma consolation ; vous m’aidiez à supporter mes peines. Aujourd’hui !… mais je vois que rien n’est capable de vous ébranler, et je ne vous en parlerai plus. Vous êtes à présent sous la discipline de votre père. Il ne se laissera pas donner la loi, ni fléchir par des prières.

J’aurais été bien aise de voir la lettre dont vous me parlez, comme j’ai vu toutes les autres. L’honneur et la prudence, dites-vous, vous défendent de me la montrer. ô Clarisse ! Vous recevez donc des lettres que l’honneur et la prudence ne vous permettent pas de montrer à votre mère ! Mais il ne me convient pas de la voir, quand vous seriez disposée à me l’envoyer. Je ne veux pas être dans votre secret ; je ne veux pas savoir que vous entreteniez des correspondances. Et, pour ce qui regarde la réponse, suivez vos propres lumières. Mais qu’il sache au moins que c’est la dernière fois que vous lui écrirez. Si vous lui faites une réponse, je ne veux point la voir. Cachetez là, si vous en faites une. Vous la donnerez à Chorey ; et Chorey… mais ne croyez pas que je vous permette d’écrire.

Nous ne voulons entrer dans aucunes conditions avec lui, et l’on ne consentira pas non plus que vous y entriez. Votre père et vos oncles ne seraient pas maîtres d’eux-mêmes, s’ils le voyaient à leur porte. Quelle raison avez-vous de vouloir l’obliger, en renonçant à M Solmes ? Ce renoncement ne servirait-il pas au contraire à nourrir ses espérances, et tandis qu’il en conservera, serons-nous jamais délivrés de ses insultes ? Quand il y aurait quelque reproche à faire à votre frère, c’est un mal invincible, et le devoir permet-il à une sœur d’entretenir des correspondances qui mettent la vie de son frère en danger ? Mais votre père a mis son propre sceau à l’aversion de votre frère. C’est à présent l’aversion de votre père, celle de vos oncles, la mienne, et celle de tout le monde. Qu’importe la source ? à l’égard du reste, votre obstination m’a ôté le pouvoir de rien entreprendre en votre faveur. Votre père se charge de toutes les suites. Ce n’est plus à moi par conséquent qu’il faut vous adresser. Je veux me réduire à la simple qualité d’observatrice ; heureuse, si je pouvais l’être avec indifférence ! Tandis que j’avais quelque pouvoir, vous ne m’avez pas permis d’en faire l’usage que j’aurais souhaité. Votre tante a été forcée de s’engager à ne se mêler de rien, sans la participation de votre père. Attendez-vous à de rudes épreuves. Si vous avez quelque faveur à espérer, ce ne peut être que de la médiation de vos oncles, et je les crois même aussi déterminés que les autres ; car ils ont pour principe (hélas ! Ils n’ont jamais eu d’enfans) qu’une fille qui, dans l’article du mariage, ne se gouverne point par l’avis de ses parens, est une créature perdue.