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au jardin lorsque mon père, ma mère, ou mes oncles y seroient. Comme il est important pour moi de savoir à quoi je dois m’en tenir, je suis descendue aussi-tôt, et j’y ai passé plus d’une heure, sans aucun obstacle, quoique j’aie employé la plus grande partie de ce temps à me promener devant le cabinet de mon frère, où j’ai remarqué que ma sœur et lui étoient ensemble. Je ne saurais douter qu’ils ne m’aient vue, car j’ai entendu plusieurs éclats de rire, dont je suppose qu’ils ont voulu me faire insulte. Ainsi cette partie de la contrainte où l’on me tient, est sans doute un essai de l’autorité dont on a revêtu mon frère. L’avenir m’en promet peut-être de bien plus mortifians.

Mardi au soir.

Depuis que j’ai écrit ce que vous venez de lire, je me suis hasardée à faire passer une lettre par les mains de Chorey, jusqu’à ma mère, avec ordre de la lui remettre en mains propres, et sans être vue de personne. Je vais en joindre ici la copie. Vous verrez que je cherche à lui faire croire qu’à présent qu’Hannah n’est plus dans la maison, il ne me reste aucune voie pour mes correspondances. Je suis bien éloignée de me croire irréprochable en tout. N’est-ce pas là un petit artifice, qui n’est pas trop digne de mes principes ? Mais cette réflexion ne m’est venue qu’après. La lettre était déjà partie.

Madame, et ma très-honorée mère, vous ayant confessé que j’ai reçu de M Lovelace des lettres pleines de ressentiment, et que j’y ai répondu dans la seule vue de prévenir de nouveaux désastres ; vous ayant communiqué les copies de mes réponses, que vous n’avez pas désapprouvées, quoiqu’après les avoir lues vous ayez jugé à propos de me défendre la continuation de cette correspondance ; je crois que mon devoir m’oblige de vous avertir que j’ai reçu depuis une autre lettre, par laquelle il demande avec beaucoup d’instance la permission de rendre une visite paisible, ou à mon père, ou à vous, ou à mes deux oncles, accompagné de milord M. Je demande là-dessus vos ordres.

Je ne vous dissimulerai pas, madame, que, si la défense n’avait pas été renouvelée, et si d’autres dispositions n’avoient pas fait renvoyer Hannah si subitement de mon service, je me serais hâtée de faire réponse à cette lettre, pour dissuader M Lovelace de son dessein, dans la crainte de quelque accident dont la seule pensée me fait frémir.

Ici je ne puis retenir les marques de ma douleur, en considérant que toute la peine et tout le blâme tombent sur moi, quoiqu’il me paroisse que j’ai servi utilement à prévenir de grands maux, et que je n’ai été l’occasion d’aucun. Car a-t-on pu supposer que je fusse capable de gouverner les passions de l’un ou de l’autre des deux adversaires ? à la vérité, j’ai eu sur l’un quelque légère influence, sans lui avoir donné raison, jusqu’à présent, de penser qu’elle lui ait acquis le moindre droit sur ma reconnaissance. Sur l’autre, madame, qui peut se flatter d’en avoir aucune ?

C’est pour moi une peine des plus sensibles, de me voir dans la nécessité de rejeter tout le mal sur mon frère, quoique ma réputation et ma liberté soient sacrifiées à son ressentiment et à son ambition. Avec de si justes sujets de douleur, ne m’est-il pas permis de parler ?

L’aveu que je vous fais, madame, étant également respectueux et