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que, remarquant assez le fond que je faisais sur son indulgence, dans le temps que je paroissais si peu touchée de la mettre aux mains avec mon père, avec ses frères et ses autres enfans, elle m’assurait qu’elle étoit aussi déterminée que tous les autres contre M Lovelace, et pour M Solmes et le plan de la famille ; et qu’elle ne refuserait son consentement à aucune des mesures qu’on jugerait nécessaires, pour réduire au devoir une fille opiniâtre. J’étais prête à tomber sans force. Elle a eu la bonté de me donner le bras pour me soutenir. Voilà donc lui ai-je dit, tout ce que j’ai à me promettre d’une si bonne mère !

Oui : mais, Clarisse, je veux vous ouvrir encore une voie. Rentrez ; conduisez-vous honnêtement avec M Solmes ; et que votre père vous trouve ensemble, dans les termes du moins de la civilité.

Je crois que mes jambes se remuaient d’elles-mêmes, pour sortir de la chambre où j’étais, et m’avancer vers l’escalier. Là, je me suis arrêtée. Si vous êtes résolue de nous braver tous, a repris ma mère, vous pouvez remonter à votre appartement, comme vous m’y paroissez disposée ; et que le ciel ait pitié de vous.

Hélas ! C’est la grace que je lui demande ; car je ne puis donner des espérances que je n’ai pas dessein de remplir. ô, ma chère maman ! Accordez-moi du moins le secours de vos prières. Les miennes seront pour ceux qui m’ont jetée dans cette détresse. J’allais remonter l’escalier. Vous remontez donc, Clary !

J’ai tourné le visage vers elle. Mes officieuses larmes plaidaient pour moi. Je n’ai pu ouvrir la bouche, et je suis demeurée immobile. Chère fille, ne me déchirez pas ainsi ! Chère, bonne enfant, ne prenez pas plaisir à me déchirer le cœur ! Elle tendait la main vers moi, mais sans quitter la place où elle était debout. Que puis-je, madame ? Hélas ! Que puis-je faire ? Rentrez, ma fille ; rentrez, ma chère fille : que votre père puisse seulement vous trouver ensemble. Quoi, madame ! Lui donner de l’espérance ? Donner de l’espérance à M Solmes ?

Opiniâtre, perverse, rebelle Clarisse ! En me rejetant de la main et me regardant d’un œil de courroux : suivez donc vos caprices et remontez. Mais gardez-vous de descendre sans permission, jusqu’à ce que votre père ait ordonné de votre sort.

Elle s’est dérobée de mes yeux avec une vive indignation, et je suis remontée à ma chambre, le cœur pesant, les jambes si lentes que j’avais peine à les traîner.

Mon père est revenu, et mon frère est rentré avec lui. Quoiqu’il soit tard, ils sont enfermés tous ensemble. Il n’y a pas une porte ouverte ; pas une ame qui remue. Lorsqu’Hannah monte ou descend, on l’évite comme une personne infectée. L’assemblée chagrine est finie. On vient d’envoyer chez mes deux oncles et chez ma tante Hervey, pour les prier d’être ici demain à déjeûner. Je suppose que je recevrai alors ma sentence. Il est onze heures passées, et j’ai reçu ordre de ne me pas mettre au lit.

à minuit.

On est venu à ce moment me demander toutes les clefs. Le premier dessein était de me faire descendre ; mais mon père a dit qu’il ne pourroit