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table, où était un éventail, elle l’a pris, et s’en est servie à se rafraîchir, quoique M Solmes eût observé que l’air n’était pas chaud.

Ma mère est venue à moi, et me prenant rudement par la main, elle m’a fait passer avec elle dans une chambre voisine. Croyez-vous, Clary, m’a-t’elle dit, que cette conduite ne soit pas bien hardie et bien offensante ?

Je vous demande pardon, madame, si elle paroît telle à vos yeux ; mais il me semble, ma chère maman, qu’on me tend ici des pièges. Je ne connais que trop les artifices de mon frère. Avec un mot d’honnêteté, il aura mon consentement pour tout ce qu’il souhaite que je lui abandonne : lui et ma sœur prennent la moitié trop de peines.

Ma mère allait me quitter, avec les marques d’un furieux mécontentement. Un seul mot, chère madame ; de grâce, un seul mot ; je n’ai qu’une faveur à vous demander.

Que me va donc dire cette petite fille ? Je crois pénétrer le fond de l’intrigue : jamais, non, non, jamais, je ne puis penser à M Solmes ; mon père s’emportera lorsqu’il apprendra ma résolution ; on jugera de la tendresse de votre cœur pour une malheureuse fille, qui semble abandonnée de tous les autres, par la bonté que vous avez eue d’écouter mes prières ; on prendra des mesures pour me tenir renfermée, et pour m’interdire votre vue, et celle de toutes les personnes qui conservent un peu d’amitié pour moi (c’est de quoi je suis menacée, ma chère), et si l’on en vient à cette extrémité ; si l’on m’ôte le pouvoir de plaider ma propre cause, d’en appeler à vous et à mon oncle Harlove, qui êtes ma seule espérance, vos cœurs seront ouverts contre moi aux plus mauvaises interprétations. Ce que je vous demande à genoux, madame, c’est que, supposé qu’on ajoute cette nouvelle disgrâce à tout ce que j’ai déjà souffert, vous ne consentiez pas, du moins, s’il est possible, à m’ôter la liberté de vous parler. Votre curieuse Hannah, qui prête l’oreille à tout, vous a donné cette information, comme beaucoup d’autres.

Hannah, madame, ne prête l’oreille à rien. Ne prenez pas son parti ; on sait qu’elle n’est utile à rien de bon. On sait… mais ne me parlez plus de cette intrigante. Il est vrai que la menace de votre père est de vous renfermer dans votre chambre, si vous n’obéissez pas, dans la vue de vous ôter toute occasion de correspondance avec ceux qui vous endurcissent contre ses volontés. Il m’avait ordonné, en sortant, de vous le déclarer, si je vous trouvais rebelle. Mais j’ai senti de la répugnance à vous faire une déclaration si dure, dans l’espérance où j’étais encore de vous ramener à la soumission. Je suppose qu’Hannah peut l’avoir entendu, et qu’elle vous l’a rapporté. Ne vous a-t-elle pas dit aussi comment il a déclaré que, si quelqu’un devait mourir de chagrin, il aimait mieux que ce fût vous que lui ? Mais je vous assure qu’on vous fera une prison de votre chambre, pour vous empêcher de nous tourmenter sans cesse par vos appels  ; et nous verrons qui doit se soumettre, ou vous, ou tout le monde à vous.

J’ai voulu justifier Hannah, et rejeter mes informations sur l’écho de ma sœur, Betty Barnes, qui les avait communiquées à une autre servante : on m’a répété l’ordre de me taire. Je m’appercevrais bientôt, m’a dit ma mère, que les autres pouvaient avoir autant de résolution que je marquais d’opinâtreté. Et, pour la dernière fois, elle voulait bien ajouter