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de tenir une conduite qui pût l’engager à faire à mon père un rapport aussi favorable que je paroissais le désirer. Ma sœur triomphoit. J’étais piquée au vif de me trouver prise, et d’avoir essuyé un rebut si humiliant, accompagné de regards qui se sentait moins de l’indulgence d’une mère que de la raillerie insultante d’une sœur ; car ma mère semblait se faire elle-même un plaisir de mon embarras.

L’homme est entré avec sa marche ordinaire, qui est par pauses ; comme si le même vide d’idée qui fait siffler le paysan de Dryden , lui faisait compter ses pas. Il a fait d’abord sa révérence à ma mère, ensuite à ma sœur, ensuite à moi, parce que, me regardant déjà comme sa femme, il a cru apparemment que mon tour devait venir le dernier. Il s’est assis près de moi ; il nous a dit des nouvelles générales du tems, qui était assez froid, suivant ses observations. Pour moi, j’étais fort éloignée de m’en ressentir. Puis, s’adressant à moi : comment le trouvez-vous, miss ? Et de cette question, il a voulu passer à prendre ma main.

Je l’ai retirée assez dédaigneusement, je crois… ma mère a froncé le sourcil. Ma sœur s’est mordu les lèvres.

Je n’ai pu me modérer : de toute ma vie je ne me suis senti tant de hardiesse ; car j’ai continué mon plaidoyer, comme si M Solmes n’eût pas été présent.

La rougeur est montée au visage de ma mère ; elle le regardait ; elle regardait ma sœur ; elle jetait aussi les yeux sur moi. Ceux de ma sœur étoient plus ouverts et plus grands que je ne les ai jamais vus.

Le stupide personnage n’a pas laissé de m’entendre ; il toussait, et passait d’une chaise à une autre. J’ai continué mes supplications à ma mère, pour obtenir un rapport favorable : il n’y avait qu’un dégoût invincible, ai-je dit… à quoi pense donc cette petite fille ? Quoi, Clary ! Est-ce là un sujet… est-ce… est-ce… est-ce là le tems… elle a tourné encore les yeux sur M Solmes. Je suis fâchée, quand j’y fais réflexion, d’avoir jeté maman dans un si grand embarras ; c’était assurément une témérité de ma part.

Je lui en ai demandé pardon ; mais mon père, lui ai-je dit, devait revenir ; je ne pouvais espérer d’autre occasion. Je m’imaginais que, puisqu’il ne m’était pas permis de sortir, la présence de M Solmes ne devait pas me priver d’un avantage si important pour moi, et qu’en même tems je pouvais lui faire connaître (jetant les yeux sur lui) que, si ses visites avoient quelque rapport à moi, elles étoient tout-à-fait inutiles.

Cette petite fille est-elle folle ? A dit ma mère en m’interrompant. Ma sœur, affectant de lui parler à l’oreille, quoique assez haut pour être entendue : c’est le dépit, madame, de ce que vous lui avez ordonné de demeurer. Je me suis contentée de lui jeter un regard ; et me tournant vers ma mère : permettez-moi, madame, de répéter ma prière. Je n’ai plus de frère ; je n’ai plus de sœur. Si je perds la faveur de ma mère, je demeure à jamais sans ressource.

M Solmes est revenu sur sa première chaise, et s’est mis à ronger la pomme de sa canne, qui est une tête gravée, presque aussi hideuse que la sienne : je n’aurais pas cru qu’il fût si sensible. Ma sœur s’est levée, le visage couleur d’écarlate : et s’approchant de la