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rait s’attendre à rencontrer chez ces batteurs de forêts et de grèves les vertus qui distinguaient les premiers colons amenés par Poutrincourt ou qui signalèrent la petite société qui se forma plus tard du rassemblement de tous ces débris. Quand la vie fut devenue plus sédentaire, que des habitudes d’ordre et d’économie se furent introduites parmi eux au contact d’une population sobre et laborieuse, et que l’extrême fertilité du sol leur eut procuré une honnête aisance, l’épuration des mœurs se fit graduellement. Cette carrière aventureuse avait du moins eu pour effet de tremper fortement les caractères pour les luttes nécessaires qu’ils eurent à soutenir jusqu’à la conquête définitive du pays. D’autre part, comme ces hommes s’étaient accoutumés à se passer de frein, et que le délaissement où la France les avait tenus si longtemps leur avait appris à vivre en dehors de toute règle administrative et de la discipline officielle, il s’était développé au sein de la colonie un certain esprit d’indépendance qui devait mal s’accommoder des entraves que les gouverneurs français imposèrent dans la suite. Aussi, lorsque la France, après le traité de Bréda, reprit avec quelque fermeté la conduite de l’Acadie, des mécontentements et des récriminations éclatèrent contre une autorité jalouse de ses droits et qui se complaisait à multiplier autour de ses subordonnés les chinoiseries administratives et à les embarrasser dans le mécanisme compliqué des chancelleries européennes. La correspondance des gouverneurs porte la trace des difficultés auxquelles ils se heurtèrent de ce chef : M. de Brouillan, par exemple, dans une de ses lettres, qualifie les Acadiens de demi-républicains[1]. Cepen-

  1. Ce mot est cité par Rameau, (Une colonie, etc. Tome I. c. VI, à la page 232.) M. de Brouillan aurait dit cela d’abord des gens des Mines et l’aurait