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sein et à produire cet état particulier de société que nous connaissons.

Des écrivains modernes ont voulu voir dans la peinture des mœurs acadiennes un tableau fantaisiste. Ils ont pensé que l’imagination des poètes et des historiens en avait fait tous les frais, et que ce monde idéal était incompatible avec ce que nous savons de la nature humaine. Nous ne doutons pas, en effet, que cette peinture n’ait, été quelque peu embellie et enjolivée par le prisme de l’art. Cependant, quand nous nous reportons aux conditions tout à fait spéciales dans lesquelles ce petit peuple est né et a grandi, il nous faut bien admettre que tout ce que l’on a raconté de sa vie contient une part très large de vérité et de réalité.

Les défauts communs à tous les Français, tels que la jalousie, la médisance, les commérages, — défauts qui ont peut-être leur source dans l’extrême sociabilité de la race et qui seraient alors comme la rançon de ses qualités, — existaient en Acadie aussi bien qu’ailleurs ; mais il semble que ces défauts étaient comme atténués chez ces colons par des raisons toutes particulières. Les circonstances au milieu desquelles ils évoluaient apportaient une sorte d’adoucissement au caractère national, naturellement enclin à la critique et aux coups de langues. Dans les premiers temps de la colonie, alors que les familles étaient étrangères les unes aux autres, et probablement durant toute la durée du régime français, les misères humaines ordinaires devaient s’offrir aux regards. La destruction de Port-Royal par Argall, l’abandon dans lequel la France les laissait, les incursions fréquentes des anglo-américains, avaient poussé un certain nombre des premiers colons à se faire aventuriers, coureurs de bois, pêcheurs, à la suite de Biencourt, Denys, La Tour. Une telle vie est peu favorable à la moralité ; et l’on ne sau-