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Wolfe », et il est regrettable que Richard n’ait pas usé de plus de réserve à son égard.


VI


Une question soulevée par l’écrivain canadien et qui a beaucoup préoccupé son esprit, c’est celle de la responsabilité du gouvernement anglais dans l’œuvre de la déportation.

« The Government, dit Richard, had nothing to do with the Deportation. » Voilà qui est bien catégorique. Je ne sais si je me trompe, mais à venir jusqu’à ces dernières années, l’on s’était peu avisé de distinguer aussi nettement entre la métropole et ses colonies, ces dernières étant considérées comme de pures dépendances administratives. Nos historiens classiques, si j’ai bonne mémoire, n’en ont rien fait.

Une pareille distinction a lieu de surprendre de la part d’un critique aussi avisé que Richard. Voici deux puissances qui luttent pour la suprématie coloniale, pendant cent cinquante ans. Les deux cabinets de Londres et de Paris suivent jour par jour — on le voit maintenant par la publication des archives, de la correspondance, des mémoires — le détail des événements qui se passent aux colonies. En Acadie, les gouverneurs se succèdent en moyenne tous les trois ans. Ils reçoivent des instructions, envoient des rapports ; un bureau spécial suit pas à pas les choses d’outre-mer. Supposé que l’on veuille un moment cacher aux autorités certains projets importants, est-il possible que cela dure longtemps sans qu’on le découvre ? Quand on lit l’histoire de ces temps qui nous paraissent trop reculés, l’on est étonné de voir avec quelle rapidité, quelle exactitude les nouvelles sont connues, malgré la lenteur apparente des communications. Les documents analysés par Richard, les questions soumises à Londres et à Paris, tous ces faits, petits ou grands, qui se touchent, se déroulent et s’enchaînent, les expéditions nombreuses, les voyages, l’espionnage des pouvoirs rivaux qui fait que rien n’échappe à l’attention, produisent une conviction morale, telle qu’il est impossible à l’esprit d’y échapper. Les surprises, si surprises il y a, ne sauraient être jamais que temporaires ou momentanées. Il y a une suite dans les faits qui atteste une prudence, presque jamais en défaut. Voyons maintenant comment s’opère la déportation générale. Est-ce d’un seul coup, en un seul moment ? Loin de là, si l’on considère que l’on a dû prendre, et qu’en effet l’on a pris les mesures nécessaires pour en assurer le succès. Si c’était l’exil d’un individu, d’une famille, d’un groupe de familles, s’il s’agissait de dépeupler un port ou même une ville — on a vu ces choses, si rarement que ce soit, en temps d’invasions par exemple ; — mais non, c’est 18,000 habitants dont bon nombre disséminés sur un vaste territoire, qu’il s’agit de faire disparaître et de disperser sur tous les rivages ; il faut des mois pour préparer la flotte de transports où l’on va les embarquer. De 1755 à 1758 — les deux dates comprises — c’est une véritable chasse à l’Acadien. Les premiers chargements n’ayant pas suffi, l’amiral Boscowen paraît avec ses ba-