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peut-être doit-on l’apprécier avec réserve. Un point essentiel pourtant c’est qu’elle est signée par les citoyens de la ville d’Halifax, et le malheur pour Lawrence c’est qu’elle concorde avec ce que l’histoire nous apprend de son caractère. Si les compatriotes de ce singulier chef d’État avaient à se plaindre à ce point de son gouvernement, que ne devaient pas souffrir les pauvres Acadiens ? Lawrence, tel est l’auteur immédiat de la déportation. Richard raconte très simplement mais avec fidélité le drame si navrant qui se déroule en 1755 et les années suivantes. Il y met une exactitude, une précision et un relief dignes de son grand talent.

En sa qualité de critique, l’écrivain devait en toute justice faire la part des temps pour établir les responsabilités. Je ne sache pas toutefois qu’il ait réussi à diminuer la gravité des fautes de l’Angleterre, en nous montrant les cupidités énormes qui s’étalaient alors dans les Indes ou ailleurs. Sans doute la fièvre des découvertes, le spectacle des trésors apportés de Madras, de Calcutta et d’ailleurs, les exploits de Clives et de Hastings, étaient bien propres à exciter la convoitise. Un grand orgueil de domination s’était emparé des esprits en Angleterre depuis les jours de l’Armada. Mais voilà qui est expliquer plutôt qu’excuser. Décidément, tout n’est pas mauvais ; mais à côté d’actions dont on ne saurait méconnaître la grandeur héroïque, que d’iniquités, que de complots tragiques remplissent l’histoire des premières colonisations en Amérique ! Pour certains acteurs puissants, ces choses qu’on appelle la vertu simple, la bonne foi et les traités, que valent-elles ? Les Acadiens eurent la naïveté de croire qu’il leur suffisait d’être fidèles à la foi des ancêtres, à leurs affections si légitimes ; ils crurent jusqu’à la fin dans ces retours que parfois la justice humaine apporte à l’opprimé. Combien leur soumission et leur patience devaient être cruellement déçues !

Shirley, on l’a vu, avait clairement exprimé l’avis que ces gens devaient être protestantisés ou dépouillés de leurs biens. L’affaire du serment était bien un motif ! Dans une citation, à Halifax, les Acadiens ont une idée ingénieuse. Sentant qu’ils sont menacés des plus grands maux et devinant fort bien les intentions du conseil, ils font mine de se rendre à ses exigences en offrant de prêter le serment demandé. « Il est trop tard, à présent, dit le gouverneur… » Cette réponse, prévue, a été consignée par Parkman lui-même.

Richard démontre avec force que les motifs, les vrais motifs de la déportation, furent la peur et surtout l’intérêt. C’est le mépris que l’on ressent pour cette paysannerie humble ; c’est ensuite la cupidité, ce sont des biens que l’on convoite. « Cette convoitise, dit Rameau, datait depuis cinquante ans. » Le reste n’est qu’un voile pour masquer la conduite. Les temps sont mûrs : les colons de la Nouvelle-Angleterre ou d’ailleurs sont prêts à venir prendre les armes. La France est de plus en plus lointaine, comme de moins en moins soucieuse des dénouements qui se préparent. Les dernières mesures sont prises. Personne ne doit échapper et le gouverneur recommande en particulier d’avoir soin du bétail. L’habileté de Lawrence égale sa perversité, et ses officiers le secondent. C’est un accord touchant. À les entendre, jamais les Anglais n’auront accompli plus