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complète et éclaire les phrases entortillées dans lesquelles Philipps enveloppait son petit machiavélisme. Lorsqu’on lit cette missive ministérielle, on pressent déjà le complot odieux de la proscription, on est saisi d’un frisson ; on croit entendre les premiers sons de la sinistre trompette qui devait ordonner l’embarquement. Dans ces phrases raides et glacées en apparence, on sent la colère qui couve en secret dans le cœur. Sous les dehors patelins qu’elle est obligée de revêtir, cette colère contenue s’envenime, s’enrage avec le temps pour éclater furieuse, aveugle et bestiale, en 1755, après avoir fermenté pendant trente-cinq ans. Là est le secret véritable des excès auxquels se portèrent les Anglais à cette époque, et les mêmes âmes qui en sont surprises n’ont pas besoin, pour les expliquer, de prêter aux Acadiens des crimes imaginaires. Maintenant on peut dire avec assurance que la proscription n’a pas été une œuvre improvisée ab irato, mais préparée et méditée de longue date : on y pensait déjà en 1720.

« Ces documents suffiraient, à défaut de tous autres, pour montrer quelle appréhension extrême éprouvaient le Board of Plantations en Europe, et en Amérique le gouverneur d’Annapolis, dans la crainte de voir les Acadiens leur échapper. Elle éclate à chaque ligne ; on veut à tout prix éviter ce malheur ; aussi faut-il voir, malgré l’âpre colère qui les dévore au dedans, comme ils prodiguent les bonnes paroles : c’est avec une douceur insinuante que la gracieuseté du sieur Philipps, en louant la tendresse du roi George, leur glisse ces assurances perfides de liberté, de quiétude, de franchise religieuse ; afin de tirer en longueur en louant la tendresse du roi George, et de leur faire accepter une tolérance provisoire qui n’engageait à rien, en attendant l’heure des circonstances favorables où l’on pourrait les égorger