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nord de la baie de Fundy, à la rivière Saint-Jean, à Chipody, Peticodiac, Memramcook, et même à Beaubassin, c’est-à-dire en des territoires dont la possession était, il est vrai, contestée par les deux nations, mais qui, en fin de compte, pouvaient bien être adjugés à la France par la commission chargée d’en décider.

Bien n’était plus raisonnable que l’exemption réclamée par les Acadiens, surtout alors qu’on les privait de leur droit de quitter le pays. Ceux qui traitent leur demande de frivole n’ont évidemment jamais interrogé leur cœur, ne sont pas descendus dans les replis de leur propre conscience pour s’inspirer des sentiments qu’ils éprouveraient dans une situation analogue. Nous verrons ultérieurement que les colons américains qui s’établirent, en 1760, sur les terres évacuées de force par nos infortunés ancêtres, furent, lors de la guerre de l’Indépendance, dispensés d’aller se battre contre leurs frères de la Nouvelle-Angleterre. Et l’on trouva tout naturel à ce moment de leur accorder cette dispense si légitime. Non, ce n’était pas sans un serrement de cœur, sans de poignantes angoisses, que ces Acadiens avaient pris la détermination d’abandonner leur patrie, leurs biens, ces lieux de leur enfance arrosés des sueurs de plusieurs générations. Croyons-le bien, ils préféraient de beaucoup rester ; mais, en ces temps de préjugés, d’intolérance et d’absolutisme, ils avaient des raisons de redouter les caprices de leurs gouvernants, ils craignaient que, tôt ou tard, on ne mit des obstacles au libre exercice de leur religion. Osera-t-on soutenir que leurs craintes n’étaient pas fondées, quand depuis trois ans on les retenait malgré eux en violation d’un traité, quand l’Angleterre en était à la période de son histoire le plus accentuée dans l’intolérance ? Ces risques, nos pères étaient toutefois décidés à les courir ; mais ils vou-