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paresseux sillonne la même plaine, et qui tour à tour se rapprochent, s’éloignent, se rapprochent encore : ils semblent couler dans la même direction. Vont-ils donc finir par se réunir ? Peut-être ! mais ce qui est certain, c’est que le même océan les recevra tous deux, après qu’ils se seront agrandis et que, chargés des eaux de nombreux affluents, ils seront devenus deux fleuves majestueux et puissants. Le même océan ? Non. Un tout petit accident de terrain a suffi pour faire dévier le cours parallèle de leurs flots et pour lui imprimer une direction opposée : l’un de ces fleuves ira vers l’Est, l’autre vers l’Ouest, ils auront pour terme deux océans. Tandis que l’un se déroulera, imposant et calme, à travers des prairies bien grasses, l’autre se précipitera avec fracas dans des gorges étroites, baignera tour à tour des paysages charmants ou d’arides contrées, tantôt élargira sa nappe limpide et tantôt se resserrera pour franchir un passage difficile. Ce petit accident qui devait changer le cours de ces deux fleuves et orienter en sens inverse leurs destinées, ce fut le concept de la liberté. Pour l’avoir interprété différemment, la France et l’Angleterre se sont engagées dans des routes dissemblables. La France, par la main de ses monarques avides de gouvernement absolu, restreignait les libertés, tandis que l’Angleterre travaillait à leur expansion : et voilà ce qui a marqué ces deux nations d’une empreinte à part et ce qui a donné à l’âge moderne sa physionomie pleine de contrastes.

Pendant que les grands seigneurs anglais se renfermaient dans leurs domaines, gardant ainsi un certain degré d’indépendance à l’égard du souverain, et se rangeaient ostensiblement du côté du peuple[1] pour conserver et ac-

  1. Dans la Revue des Deux-Mondes du 1er mai 1914, page 135 et suiv. ;