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inutile et nuisible aux Acadiens. Elle ne leur a pas seulement nui, certes, elle les a désorientés, elle les a brisés. Le mal qu’elle a fait à cette race est à tout jamais irréparable. J’ai entendu de belles choses au sujet de leur survivance, de la reprise de leurs destinées en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. Cela est admirable, en effet, et Mgr Paquet, qui a observé ce fait ethnique remarquable, l’a justement appelé la Revanche de l’Histoire.[1] M. Charles Maurras a dit : « Il n’y a rien au monde de plus touchant que le tableau d’une race antique qui se maintient. »[2] Si, je sais quelque chose de plus touchant encore, c’est le tableau d’une antique race qui, après avoir été déracinée, décimée, broyée, semée à tous les souffles, réussit, par un véritable miracle de profonde vitalité, à se refaire, à se maintenir. Il y a là un phénomène apparenté à une résurrection. C’est pourquoi il excitera toujours l’étonnement des penseurs. Ce phénomène, ce rare tableau, dont les éléments sont faits d’une double beauté : la surgie et le maintien des traits de la race, — l’Acadie nous l’offre à l’heure actuelle. Il faut s’incliner respectueusement devant un tel paysage moral. Ce n’est pas à dire cependant que nous devions perdre de vue le spectacle qui se dresse dans le lointain de notre esprit, quand nous songeons à ce qu’aurait été normalement l’avenir des Acadiens, sans ce néfaste épisode du « grand dérangement », lequel fut plus qu’un épisode, mais une effroyable tempête, dont les désastres sont incalculables, et se feront sentir au long des siècles. Les Acadiens seraient aujourd’hui un million à douze cent mille. Quelle réserve d’énergie française et quelle efflorescence du catholicisme, dans ces mêmes provinces, qui leur appartenaient de droit, et qu’il leur a fallu arracher peu à peu au fanatisme !

Cette tragédie acadienne ! L’énigme, la solution n’en est pas dans les pauvres spéculations de notre entendement. C’est plus haut que la terre, en dehors du temps, du nombre et de l’espace, qu’il faut en chercher une explication qui repose l’esprit désemparé en présence d’un tel sort fait à l’innocence, et qui comprime les mouvements d’un cœur honnête, que l’indignation au souvenir de si grands malheurs fait battre trop vite. De tout temps il a fallu qu’il y eût des justes souffrants. C’est la grande loi d’équilibre moral, qui empêche notre monde d’être englouti dans le néant. À cause de sa foi, de ses vertus, la race acadienne a été choisie pour prendre rang parmi ces victimes augustes, que l’antiquité païenne elle-même plaçait très haut : le Juste qui

  1. Études et Appréciations. Mélanges Canadiens, p. 116. (Québec, Imp. Franc. Mission, 1918.)
  2. L’Action Française et la Religion catholique, P. 141. Tiré de son Anthinea, à propos d’une « ville corse peuplée au xviie s. de Grecs fugitifs, et qui, par un miracle de fidélité historique, conserve encore, pour une très grande part, les nobles legs de leur esprit et de leur sang ». (Nou. Libr. Nat. Paris, 1913).