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domaines que leurs pères avaient défrichés, et où ils trouvaient, dans un labeur consciencieux, le contentement de l’esprit, et les biens nécessaires à leur subsistance. Et que de cruautés de tout ordre vont venir s’ajouter à leurs premiers malheurs, pour alourdir leur existence errante ! Ces sans-patrie vont être pris dans un enchaînement d’infortunes qui aura quelque chose d’inextricable. Des avalanches de maux vont achever de broyer leur âme et leur corps. Et d’abord, ils n’étaient pas attendus là où on les a envoyés. Lawrence s’était bien gardé de prévenir les gouverneurs des provinces de l’arrivée de ces parias. La moindre convenance exigeait qu’il les consultât à l’avance, et qu’il demanda leur assentiment. Rien n’en fut fait. Prévoyant sans doute des objections qui l’eussent frustré de ses desseins, il se contenta de remettre aux capitaines de vaisseaux chargés de transporter les exilés, une lettre-circulaire à l’adresse du gouverneur de chacune des provinces où les Acadiens devaient être débarqués, leur expliquant ceci : premièrement, que la sécurité de la Nouvelle-Écosse lui avait fait un devoir d’en déporter tous les habitants français ; qu’ils voulussent bien l’aider, coopérer à son œuvre de protection des intérêts britannique, en recevant dans le territoire soumis à leur juridiction quelques centaines ou quelques milliers de ces sujets ingouvernables, nuisibles, dangereux. Un tel procédé souleva la colère de plusieurs de ces gouverneurs, et les autres en manifestèrent un grand étonnement. Qu’arriva-t-il ? C’est que les Acadiens furent les premiers à souffrir d’un tel procédé offensif des droits de ces Excellences. Lawrence se prenait-il pour un potentat à qui tous ses collègues des autres provinces du continent devaient obéissance ? Pourquoi n’avait-il pas d’abord sollicité leur avis ? Pourquoi ne s’était-il pas assuré s’ils recevraient ou non ces neutres français ? Qu’avait-on besoin de cette engeance maudite ? Si elle n’était pas bonne pour la Nouvelle-Écosse, était-elle meilleure pour les autres colonies ? Celles-ci n’auraient-elles pas à souffrir également de sa présence dans leur sein ? Pourquoi n’avoir pas expédié ces gens en Angleterre, ou en France, au bout du monde plutôt ? Les protestations contre cet imposition de colons ennemis, de papistes français, pleuvent. En tel État par exemple le gouverneur refuse d’en laisser débarquer un seul, et les capitaines des vaisseaux reçoivent l’ordre de faire voile pour l’Angleterre avec leur cargaison d’indésirables. Dans les autres ports, ces capitaines doivent parlementer longtemps, parfois durant des semaines, avec les autorités, avant d’avoir la permission de débarquer les proscrits. Ces gens de mer sont pressés ; ils ont d’autres chargements à prendre ; tout retard leur fait perdre de l’argent. En hommes pratiques, cela ne peut leur aller. D’autre part, pour toutes sortes de raisons, où le souci matériel entre pour beaucoup, les autorités ne se hâtent pas dans l’état actuel de leurs finances, de prendre à leur charge cette armée de misérables. Durant tous ces pourparlers, les Acadiens languissent à bord des vaisseaux : c’est l’hiver ; ils ne sont pas protégés contre le froid, la neige, les pluies ; mal nourris, n’ayant pas d’eau potable, manquant de tout, la maladie fait parmi eux les plus grands ravages. Chose incroyable ! Même à