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ni menaces, n’a pu libérer de la superstition romaine ? Mais l’on risquerait alors d’être pris en flanc par ces traîtres sur qui l’on ne peut pas compter, parce qu’ils ont résisté à tous les efforts tentés pour faire d’eux de bons sujets anglais, en d’autres termes pour les faire verser dans l’apostasie religieuse et nationale.

Le plus simple, et c’est même la seule solution qui se soit jamais présentée à ces grands hommes d’État, — le plus simple, c’est de supprimer cette race réfractaire à l’influence britannique, de la briser, de la broyer, d’en disperser les débris sur toutes les plages des nobles provinces royales du continent. Et, quand cela aura été exécuté, le reste ira tout seul. Profond raisonnement, Messieurs, qui a eu toutefois le tort de reposer sur d’inconcevables chimères, et de méconnaître, avec tous les principes du droit des gens, les notions les plus élémentaires de morale et d’humanité. C’est ainsi que la déportation des Acadiens nous apparaît comme l’un des premiers effets, et le plus abominable de tous, produits dans le monde par ce que l’on devait appeler l’impérialisme britannique ; c’est le fruit de l’impérialisme avant la lettre. Pour premier essai, ce monstre naissant a fait un coup de maître, qui n’a pas été dépassé et dont l’horreur nous saisit encore, après cent soixante-sept ans d’intervalle.

Dans les Archives de la Massachusetts Historical Society, nous avons lu un travail navrant publié à Philadelphie en 1856 par un M. William-B. Reed, et dans lequel sont relatées, avec un grand souci de précision, une parfaite impartialité, l’accent de la sympathie chrétienne, les tortures endurées par les « French Neutrals » à Philadelphie même, et en d’autres endroits de la Pennsylvanie. Des centaines de ces déportés y sont morts de misère et de mauvais traitements. Et l’auteur termine son étude, remplie de désolantes statistiques, par ces mots : « Ces pauvres catholiques fugitifs, d’autant plus attachés à leur foi qu’ils avaient souffert, à cause d’elle, la persécution et l’exil, moururent le cœur brisé, et leur agonie est une tache qui pèse sur le nom anglais. They died heart broken, and the stain of their agony rests upon the english name. »[1]

Parole terrible, qui n’est toutefois que l’expression de la vérité, le verdict de la conscience humaine, en présence d’un tel forfait !

Tous les Acadiens ne sont pas morts des suites de la déportation : la survivance, la reviviscence de cette race malheureuse, aux lieux d’où elle avait été déracinée, est même, comme nous le disait un éminent prélat, quelque chose de si extraordinaire que cela tient du miracle providentiel ; mais tous en ont eu le cœur brisé : leurs misères, leurs souffrances, leurs deuils sont, pour le nom et pour le blason britannique, une tache qui ne sera jamais effacée.


Henri d’Arles.



  1. Paru dans l’American and Gazette. Philadelphia Saturday, March 29, 1856.