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fond des choses, ou que ses informations sur ce point capital étaient par trop défectueuses ; il nous semble qu’il fait d’une cause occasionnelle le principe premier d’un événement à jamais néfaste. Que l’entourage du Gouverneur et les colons britanniques aient bénéficié de la proscription qui avait enveloppé tous les autres français, en se faisant octroyer à bon compte leurs belles terres, cela n’est que trop certain. Que Charles Lawrence en ait personnellement profité pour faire fortune, cela n’est pas si sûr, des documents, dont nous n’avons pas lieu de suspecter la véracité, affirmant qu’il est mort pauvre, moins de cinq ans après son exploit.[1] La déportation devait entraîner des frais considérables ; et les provinces royales, qui allaient de si mauvais cœur accueillir ces pauvres expulsés et les confier à l’assistance publique, devaient exiger du gouvernement de la Nouvelle-Écosse le remboursement intégral des dépenses que leur entretien occasionnerait. Et nous avons des raisons péremptoires de croire que c’est en vue de subvenir à ces charges que le Gouverneur a versé au budget de la province le produit de ses fructueuses confiscations.[2]

Quelle fut donc alors la cause profonde de la déportation, si l’affaire du serment ne l’explique pas, s’il faut rejeter également, comme motif premier, comme motif plausible même, la question de spéculation intéressée de la part de Lawrence ? Messieurs, vous savez quelles ignominies la fameuse raison d’État a servi à couvrir et à justifier. Et vous savez aussi que, devant la morale éternelle, transcendante aux questions de race et de religion, cette raison d’État apparaît souvent comme un défi aux lois divines et humaines. Or, c’est la raison d’État qui donne la solution du problème acadien, et certes, loin d’exonérer le pouvoir qui a extirpé ce peuple et en a semé les débris dans des milieux hostiles où il espérait bien qu’il serait tôt anéanti, elle marque l’extraordinaire proportion de son crime, lequel ne fut ni plus ni moins qu’un crime national. Il ne vint jamais sérieusement à l’esprit des autorités anglaises de garder indéfiniment sous leur tutelle une race qui avait à leurs yeux le double tort d’être

  1. La thèse de l’enrichissement de Lawrence est insoutenable. Cf. Can. Arch. (1894) de 1755 à 1763. — « Lawrence died unmarried, and left no money or property behind him for relatives to fight over. In 1754, he inherited £10.000 sterling, from an uncle in Southampton, John Harding, Esq., but his expenses were very heavy. He paid one-half of the cost of erection of the new government House built in 1758 and the entire cost of furnishings. The tremendous armaments and forces in garrison from 1756 to 1760 entailed on the governor an immense deal of entertaining, which explains why he died poor. » — Life and Administration of Gov. Charles Lawrence, by James S. MacDonald. Coll. of the N. S. H. S. vol. xii. Halifax. N. S. 1906. Page 56.
  2. Voir la preuve de ceci dans Arch. Can. (1894) passim, et tout au long des deux vols de French Neutrals, aux archives de Boston. Ces confiscations n’ont pas suffi d’ailleurs à couvrir ces dépenses. Lawrence laissa la Nouvelle-Écosse fort endettée de ce chef.